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qui permît d’observer d’une manière régulière les protubérances roses du bord solaire, qu’on n’avait encore entrevues que pendant les éclipses totales. Espérant que le spectroscope trahirait la présence de ces flammes rouges sur le contour de l’astre en temps ordinaire, M. Lockyer fit construire un appareil à plusieurs prismes, et dès le mois d’octobre 1868 il réussit à découvrir les traces d’une protubérance dans le spectre des bords du soleil. Il est vrai que depuis deux mois déjà un physicien français, M. Janssen, qui était allé dans l’Inde observer l’éclipse totale du 19 août, était en possession d’une méthode analogue pour l’étude des protubérances ; mais l’annonce de sa découverte ne parvint en Europe que le jour même où M. Lockyer fit connaître la sienne au monde savant. En élargissant la fente du spectroscope, on peut d’ailleurs voir directement les flammes roses et en suivre les changemens rapides ; les astronomes les dessinent maintenant jour par jour. Depuis deux ans, M. Lockyer a même réussi à produire des éclipses artificielles de soleil par l’interposition d’un disque de cuivre qui joue le rôle de la lune dans les éclipses, et il a ainsi obtenu plusieurs dessins de l’atmosphère solaire avec toutes ses particularités.

M. Carrington, à Redhill, a choisi une autre spécialité : il a consacré huit ans à une longue série d’observations des taches solaires, qui l’ont conduit à de remarquables conclusions relatives à la constitution du soleil : la vitesse de rotation inégale des diverses régions du globe solaire prouverait l’existence d’immenses courans dans l’atmosphère de cet astre. L’observatoire de M. Isaac Fletcher, à Tarn-Bank (Cumberland), a été créé en vue de l’étude régulière des étoiles doubles, étude qui avait aussi pendant de longues années occupé l’amiral Smyth, à l’observatoire d’Hartwell, où il s’était installé chez son ami le docteur Lee. L’année dernière enfin, un des riches propriétaires d’Ecosse, lord Lindsay, a fondé un splendide observatoire à Dun-Echt pour l’étude des satellites de Jupiter, que M. Airy avait recommandée comme le meilleur moyen d’arriver à la connaissance de la masse de cette planète. En même temps qu’il installait ses instrumens, lord Lindsay organisait à grands frais, — les dépenses sont évaluées à 400,000 francs, — une expédition pour observer à l’île Maurice le passage de Vénus, qui aura lieu le 8 décembre 1874.

Cette division du travail en de nombreuses spécialités est très importante pour le progrès de la science en général. « Alors seulement, dit Bacon, les hommes commenceront à connaître leurs forces quand non plus tous voudront faire la même chose, mais l’un ceci et l’autre cela. » L’application de la photographie et de la spectroscopie à l’étude des corps célestes par des astronomes indépendans ouvre à l’astronomie physique des horizons tout nouveaux et promet à cette branche un développement des plus rapides. Toutefois il est clair qu’on ne saurait compter sur l’initiative privée pour des recherches de longue haleine