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ment de toute espèce d’autorité, la prise de possession, par les masses soulevées, de tous les instrumens de travail, machines et matières premières, y compris la terre et toute la richesse. » L’idéal est toujours la destruction universelle ; il s’agit de tout réduire en poussière et en ruine. Comment se propose-t-on de reconstruire ? C’est ce qu’un ancien ouvrier, maintenant médecin et jeune encore, M. César de Paepe, s’est fait un devoir d’exposer dans le congrès de Bruxelles en examinant avec le plus imperturbable sérieux « ce que le prolétariat aura à faire le lendemain de son triomphe pour assurer l’existence des services publics locaux et généraux. » Il y a bien d’autres modèles nuancés et variés, quoique procédant invariablement de la même pensée de haine et de destruction ; le modèle de M. Paepe est de l’ordre collectiviste, un mélange assez complet d’anarchie et de communisme. Les Belges laissent tout dire sans s’émouvoir, et ce qu’il y a de mieux, c’est que toutes ces divagations se produisaient l’autre jour dans une brasserie, à une tribune directement placée sous un buste du roi Léopold II ! On règle en quelques phrases les affaires du monde, de la société, de l’Europe, du prolétariat, des bourgeois, et voilà ce dont s’occupent ces maniaques de révolution qui se prennent quelquefois au piège de leurs propres déclamations en troublant les cerveaux faibles. Les populations ouvrières seraient bien plus avancées, si on parlait un peu moins de la révolution sociale, du triomphe du prolétariat, de l’organisation « des services locaux et généraux, » et si on s’occupait sérieusement, sincèrement, d’améliorer leur condition, sans commencer par déclarer la guerre à la société universelle et à la civilisation.

L’Espagne s’est arrachée à cette tourbe socialiste et incendiaire qui l’avait un moment envahie, et c’est à coup sûr la plus profitable victoire qu’elle ait gagnée depuis depuis deux ans, depuis qu’elle s’est trouvée rejetée dans les révolutions violentes et la guerre civile. Va-t-elle maintenant revenir à des conditions plus régulières où elle pourra compléter par la défaite des carlistes cette sorte de reprise de possession d’ellemême qu’elle a commencée par la défaite des insurrections communalistes ? La voilà du moins aujourd’hui rentrée d’une certaine façon dans l’ordre européen ! Le gouvernement qui existe à Madrid et qui jusqu’ici n’avait d’autre titre que d’être né d’un coup d’état soldatesque, ce gouvernement est reconnu par presque toutes les puissances de l’Europe. Les représentans de l’Allemagne et de l’Autriche viennent d’arriver à Madrid, non sans peine, non sans avoir couru quelques dangers, à ce qu’il paraît, et ils ont été aussitôt reçus solennellement par le général Serrano. L’ambassadeur d’Espagne à Paris, le marquis de La Vega Armigo, a eu récemment son audience de M. le maréchal de Mac-Mahon, tandis qu’un ambassadeur français, M. de Chaudordy, qui passe de Berne à Madrid, se dispose à partir pour l’Espagne. L’Angleterre n’a pas