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le comte. Il faudrait les voir de près ; mais je doute qu’il y en ait un seul de la valeur du mien. Si le bijou du cardinal figurait parmi ces pierres, il les éclipserait peut-être par l’éclat de ses feux.

Au bout d’un an de séjour à Paris, George, ayant assez de la vie mondaine, exprima le désir d’embrasser l’état militaire. Il se séquestra volontairement, prit des maîtres de mathématiques et de dessin, et son père lui tint lieu de répétiteur. Ses examens furent brillans. Il entra des premiers à l’école de Saint-Cyr. Après ses deux ans d’études et d’exercices, il en sortit avec le brevet de sous-lieutenant pour aller servir en Algérie dans un régiment de chasseurs, et le comte Jean retourna au château de Breuilmont. Vibrac ne se réjouissait qu’à demi des succès de George. — Tout cela est fort bien, pensait-il, le fils a le pied à l’étrier ; mais le père, quelle monture lui ferons-nous enfourcher maintenant ? comment lui trouver une nouvelle occupation ? Ce moment si beau va devenir pour lui comme une année climatérique.

En effet, le comte, rentré chez lui, tomba bientôt dans le désœuvrement. Lorsqu’il chercha ses goûts d’autrefois, il ne les retrouva plus. La chasse lui était odieuse depuis l’accident qui avait eu des suites si funestes. À quoi bon remettre dans la serre des fleurs qu’Antoinette ne verrait plus ? Recommencer à fréquenter les voisins, c’était courir après des souvenirs douloureux pires que l’ennui. Le comte reprit le chemin du cimetière malgré les représentations de Vibrac. Il ajouta quelques embellissemens au tombeau de sa femme, et ne bougea plus de son boudoir funèbre. Ses cheveux blanchirent ; sa santé s’altérait visiblement. Il perdit le sommeil et l’appétit. En peu de mois, il devint méconnaissable, et le docteur, remarquant les symptômes d’une fièvre nerveuse, crut devoir écrire à George, afin de l’engager à venir donner des soins à son père. Pendant le délai nécessaire pour obtenir un congé, George reçut une seconde lettre plus pressante que la première. Le comte avait commis une imprudence. Il était resté jusqu’à la nuit dans son caveau par un temps froid, et la fièvre nerveuse se trouvait compliquée d’une pleurésie. Le malade avait reçu les derniers sacremens, lorsqu’il aperçut le visage de son fils penché sur son lit. À cette vue, ses yeux se ranimèrent, et la voix lui revint. — George, dit-il, écoute-moi, et songe à m’obéir. Dans ce coffret qui est là, sur ma cheminée, tu prendras ma vieille cravate bleue et mon épingle en diamant. Quand je serai mort, tu me mettras cette cravate au cou, et tu en attacheras les deux bouts croisés sur ma poitrine avec l’épingle. C’est ainsi que je veux être enseveli. Ces deux objets me viennent de ta mère. Tu es assez riche pour ne point regarder à un diamant, et, quand tu te marieras, tu en donneras d’autres à ta