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de l’instinct par une description de la formation organique. Là encore, la téléologie bien comprise, la volonté inconsciente marchant méthodiquement vers son but se révèle à nous en traits qui s’imposent. Dans la vie fœtale, il y a anticipation évidente de l’avenir, des formations et des combinaisons d’organes virtuellement nécessaires, mais dont la valeur utile ne sera actuelle que longtemps après la naissance. L’organisation embryonnaire et la nutrition de l’individu complètement formé sont des faits absolument du même genre. Et cette finalité, si marquée dans chaque être nouveau qui s’organise, achève de se révéler quand on embrasse d’un coup d’œil toute la série animale. Le but que poursuit la volonté en se déployant dans la nature vivante moyennant la succession ascendante des genres et des espèces, c’est d’arriver non-seulement à la vie consciente, mais à la suprématie de la conscience. Il ne faut pas s’étonner des faits de détail parfois allégués par les adversaires du principe téléologique, qu’ils comprennent mal, tels que la non-finalité de certains organes, les mamelles rudimentaires des mammifères mâles, les vertèbres caudales chez les animaux sans queue, la vessie natatoire de certains poissons vivant toujours sur le fond de la mer, etc. Cette objection s’évanouit quand on saisit le plan d’ensemble, et des faits qui la suggèrent résulte simplement une application entre bien d’autres d’une « loi d’économie, » en vertu de laquelle la volonté souveraine réalise ses idées au prix du moindre effort possible, et par conséquent aime mieux laisser çà et là un superflu qui ne nuit pas que de briser ses moules et entreprendre sur nouveaux frais des formations nouvelles[1].

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si, dans l’esprit humain lui-même, où nous inclinons beaucoup trop à croire que la conscience et la volonté consciente sont souveraines, l’observation découvre la prédominance de l’inconscient. L’instinct en réalité ne tient guère moins de place chez nous que chez l’animal ; seulement il revêt des formes nouvelles. La répugnance à l’idée de la mort prévue, qui n’est qu’une forme de l’instinct de conservation, — la pudeur, surtout chez la femme, dont elle est la sauvegarde, — le dégoût que nous cause la saleté et qui nous détourne des choses corrompues et malsaines, — l’amour maternel persistant pendant toute la vie, etc., sont positivement des instincts humains, et il n’y a pas de différence profonde entre la tendance qui commande à l’homme de « faire sa

  1. On ne s’attendait guère à voir refleurir en pleine philosophie allemande cette idée chère au brave Maupertuis, qui voulait que la nature se fît une loi de dépenser le moins de force possible pour en venir à ses fins. Cette théorie, combattue par Kœnig, fut l’occasion de la grande querelle de Maupertuis et de Voltaire déguisé sous le pseudonyme de D’Akakia (Sans-malice).