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les yeux de Reine disaient clairement oui, un nouveau baiser scella leurs fiançailles, et ils se promirent de s’aimer jusqu’à la mort.

Remy n’eut plus alors qu’une pensée : gagner assez d’argent pour se mettre en ménage avec Reine ; une fois l’automne venu, il s’embaucha parmi des bûcherons qui allaient exploiter une coupe du côté de Grancey. Malheureusement Perdriset, qui n’avait pas été mis dans la confidence, avait d’autres vues pour sa fille cadette. Le même automne, un garçon de Germaine, fils unique et ayant du bien, fréquenta assidûment la ferme ; un jour, Perdriset signifia à Reine qu’il l’avait choisi pour gendre, et que c’était affaire conclue. La jeune fille pleura, mais ne sut pas se défendre ; sa nature craintive et soumise fit taire son amour, qui se réfugia dans un recoin de son cœur, comme un oiseau effarouché ; un matin de mars, quand Remy rentra au logis, le cœur léger et la poche garnie, on lui apprit que Reine appartiendrait à un autre, et que le jour des promesses était déjà fixé.

Fleuriot reçut le coup en pleine poitrine avec une apparente résignation ; mais en dépit de son caractère renfermé, on sentait que son cœur saignait en dedans. Il était devenu morose, inquiet et ne travaillait plus. À ceux qui lui parlaient du futur mariage de Reine, il se bornait à répondre en secouant la tête : — Elle sait bien ce qu’elle m’a promis… — Quant à Reine, elle semblait éviter de se trouver seule avec lui. Pourtant il la rencontra un soir près du ruisseau, et lui demanda si sérieusement elle ne voulait plus de lui ; comme elle baissait la tête sans répliquer, il la saisit dans ses bras, lui donna un farouche baiser, et se sauva en disant : — Si je ne t’ai pas, il ne t’aura pas non plus ; il ne t’appellera jamais femme. — Le lendemain était le jour des promesses ; dès le matin, Fleuriot partit pour Langres, où il acheta un pistolet, un quarteron de poudre et quatre balles. — On en a toujours besoin quand on va aux noces, répondit-il à l’armurier qui le questionnait. — Il ne revint qu’à la nuit close, s’en fut droit à la ferme et supplia la mère Perdriset de le laisser une dernière fois seul avec Reine. La jeune fille teillait du chanvre dans la cuisine ; ils causèrent environ une demi-heure à voix basse, et de la chambre voisine les gens entendaient les sanglots de Fleuriot, mêlés aux soupirs de Reine. Tout à coup une détonation retentit, et la vieille mère, en ouvrant la porte, vit sa fille étendue sanglante sur la pierre de l’âtre. Elle avait été tuée du coup ; Fleuriot à son tour avait essayé de se faire sauter le crâne, et s’était manqué ; on le garrotta, et le lendemain soir il était enfermé dans une cellule de la prison de Langres. Devant le juge et plus tard aux assises, il avoua tout et conta son histoire d’une façon naïve et touchante. Il y avait eu préméditation, et il fut condamné