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des fritures fines, dorées, affriolantes… Essaies-en, et, comme dit Brillat-Savarin, tu verras merveille !

Je m’étais penché vers les halliers pleins de fruits violets ou vermeils… — En route ! s’écria Tristan, m’interrompant dans ma cueillette de cornouilles et de mûres, maintenant que tu connais le fruitier, il faut que tu visites aussi le potager.

Nous reprîmes le chemin de la futaie des Fosses. Les pluies des jours précédens avaient détrempé le sol, et, sous les grands couverts, la population étrange des cryptogames avait poussé et grandi en une nuit. Toutes les variétés de champignons étaient là disséminées, soulevant les feuilles sèches, sertissant le pied des arbres, dominant les touffes d’herbe. Il y en avait de toute forme et de toute nuance : gros chapeaux bruns et bossues, frêles parasols gris, larges coupes blanchâtres retenant l’eau de pluie dans leur creux, mitres d’évêque d’un jaune chamois, branches fines ramifiées comme des coraux, boules neigeuses et gonflées…

— Tu vois ici, dit Tristan, le vaste garde-manger toujours libéralement ouvert aux gens de la forêt. Les agarics, les bolets, les chanterelles et les clavaires y poussent à foison ; seulement il faut ouvrir l’œil et y regarder de près : l’ivraie se trouve à côté du bon grain, et malheur à ceux qui, trompés par une fausse ressemblance, tombent sur un champignon vénéneux ! Ce qu’il y a de fatal, c’est que chaque espèce comestible a presque toujours un sosie qui végète dans le voisinage, et dont souvent les propriétés sont pernicieuses. Ainsi le cep, ce délicieux bolet qu’on nomme chez nous le charbonnier, a pour cousin germain le bolet meurtrier, dont le nom indique assez le caractère malfaisant. L’oronge, ce royal champignon jaune comme un soleil, ne croît pas dans nos bois, mais nous avons ses détestables sœurs, deux terribles empoisonneuses : l’amanite fausse-oronge et l’amanite citrine, dont tu vois d’ici les chapeaux rouges ou verdâtres couverts de taches de lèpre. Le mousseron, hôte des taillis de coudriers, a pour ménechme l’agaric nébuleux, qui ne vaut pas cher et qui est la caricature du premier. En général, on peut observer comme règle que les bons champignons ont tous la chair parfumée, blanche et cassante, l’épiderme sain et une mine d’honnêtes gens, tandis que les cryptogames vénéneux ont la physionomie équivoque, la couleur changeante, l’odeur nauséabonde et l’air sinistre des coquins. Malheureusement cette règle n’est pas sans exception, et les gens peu exercés s’y trompent.

— Je voudrais, répondis-je, que dans chaque école primaire il y eût de bonnes planches coloriées, représentant exactement les espèces comestibles ou dangereuses, et indiquant, en regard des