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le premier séjour[1]. Les vers parasites composant l’ordre des trématodes ont une évolution encore plus extraordinaire que les précédons, et cette évolution ne s’accomplit ni avec moins de régularité, ni dans des conditions moins strictement déterminées. Parmi les trématodes, les espèces du genre distome sont les plus nombreuses, et quelques-unes d’entre elles ont été fort étudiées par les zoologistes. M. van Beneden a très habilement observé les métamorphoses et les transmigrations de ces singuliers animaux[2]. Adultes, les distomes, selon les espèces, sont hébergés par des mammifères, des oiseaux, des reptiles, des batraciens, des poissons ; en général, ils habitent le canal intestinal, quelquefois les poumons. De l’œuf du distome nait une larve couverte de cils, elle nage. Une métamorphose s’effectue ; maintenant fixée dans les tissus d’un mollusque tel qu’un limnée ou une paludine, la larve grossit, devient un ver immobile, se nourrissant pour les besoins du développement d’une progéniture. À un moment, l’animal affecte l’apparence d’un sac rempli d’embryons. Les jeunes sujets pourvus d’une nageoire caudale s’échappent ; ce sont, suivant le terme consacré, des cercaires. Un instant libre dans l’eau, la cercaire ne tarde pas à s’établir sur une larve d’insecte, un mollusque ou un poisson ; n’ayant plus l’usage d’un instrument de natation, elle perd son appendice caudal et s’enferme comme dans une prison. Elle deviendra distome parfait le jour où, l’animal qui l’héberge étant mangé, elle se trouvera introduite dans le corps de l’espèce appelée à être sa dernière demeure ; elle périra, si le sort l’entraîne ailleurs.

Le spectacle offert par la vie des vers parasites n’est-il pas un grand enseignement dans le débat sur la fixité ou la variabilité des espèces ? Une série de hasards propices est nécessaire pour que l’évolution de l’être s’accomplisse. Les chances d’accidens sont prodigieuses, mais la fécondité est extraordinaire ; comme le dit très justement M. van Beneden, de 100,000 œufs un seul individu peut-être parvient au terme de son évolution. Pour le ténia, la première phase de son développement s’effectue chez un herbivore particulier, la seconde dans l’intestin d’un carnassier d’espèce déterminée. Pour le trématode, le phénomène est plus complexe ; tour à tour larve libre, larve fixée et féconde, larve libre et immobilisée, le distome n’arrive à l’état adulte qu’après une suite de transmigrations. Dans tous les cas, l’espèce reste invariable. En général, les vers parasites ne trouvent l’existence possible que dans le corps de tel ou tel animal : quelques-uns s’accommodent d’animaux de plusieurs genres ; de la diversité de séjour ne résulte pas le moindre

  1. Sous leur forme dernière, ces vers sont appelés des Rhynchobotries.
  2. Mémoires sur les vers intestinaux, Paris 1858.