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enracinèrent beaucoup trop l’opinion que les hybrides sont condamnés à l’état stérile. Les expériences se sont multipliées ; la certitude a été acquise que les produits d’espèces voisines demeuraient souvent féconds. En même temps, on s’est convaincu que la fécondité diminue rapidement chez la descendance des hybrides et qu’elle s’éteint au bout de quelques générations. Rien donc ne semble mieux prouver l’impossibilité de constituer une nouvelle forme permanente et rien ne paraît attester davantage que chaque espèce a une constitution propre. En effet, si les espèces voisines qui peuvent se mêler sortaient de la même souche, est-il croyable que leur postérité manquerait alors de la faculté de propagation dévolue aux créatures issues de parens d’espèce semblable ?

Des individus hybrides présentent souvent une superbe constitution : néanmoins on observe dans la plupart des cas une dégénérescence ; une atrophie des organes ou des élémens reproducteurs se manifeste ; elle se prononce plus tôt ou d’une façon plus sensible chez les mâles que chez les femelles. Le phénomène est analogue parmi les animaux et parmi les végétaux. Ce n’est pas tout encore : lorsqu’on maintient la fécondité d’un hybride en l’unissant à un individu normal, on voit bientôt disparaître dans la descendance les traces de la parenté originelle dont la part reste la plus faible. On finit par en chercher vainement l’indice ; tous les individus sont pareils à ceux de l’espèce qui a joué le rôle prépondérant ; l’autre élément semble avoir été éliminé de l’organisme comme sont éliminées les substances introduites par accident. Plus on observe, plus on expérimente, et plus on se persuade que tout dans la nature est mis en jeu pour la conservation des espèces. Sur la question de l’hybridité, les faits acquis à la science sont nombreux ; il convient de s’arrêter aux plus remarquables.

La stérilité n’étant pas absolue, une fécondité plus ou moins grande pouvant persister durant quelques générations chez des êtres issus de parens d’espèces distinctes, les partisans de l’idée des transformations indéfinies s’emparent volontiers de ces exemples pour défendre une hypothèse qui ne s’accommode guère avec la réalité. Nous voyons les formes hybrides disparaître, ils veulent croire qu’elles pourraient se perpétuer. Un premier indice important de l’indépendance originelle des espèces apparaît dans la répugnance des animaux à s’unir à un individu qui n’est pas de leur espèce, tandis que les individus de races différentes se mêlent sans difficulté, témoignant même parfois d’une sorte de prédilection les uns pour les autres. « La nature, disait Cuvier, a soin d’empêcher l’altération des espèces qui pourrait résulter de leur mélange par l’aversion naturelle qu’elle leur a donnée ; il faut toutes les ruses,