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sphinx sont des hybrides ; on a fini par surprendre les relations des parens[1]. Tous ces hydrides sauvages meurent, selon toute apparence, sans postérité ; leur présence passagère ne vient-elle pas attester qu’un trouble dans l’ordre naturel n’amène aucun changement dans la condition des êtres ?

Les observations et les expériences ne montrent pas moins sur les plantes que sur les animaux l’impossibilité de produire de nouvelles formes permanentes ou de fondre deux espèces en une seule. À l’état de nature, malgré le vent et les insectes qui transportent le pollen au hasard, les végétaux hybrides demeurent fort rares. Quelques botanistes reconnaissent de temps à autre des plantes issues de deux espèces distinctes, surtout des primevères et des saxifrages ; il ne paraît pas que ces végétaux se propagent d’une façon régulière. C’est en 1737 qu’un Anglais, Bradley, annonça pour la première fois le croisement fertile de deux espèces de primevères. Depuis cette époque, les botanistes ont fait une foule d’expériences ; celles des auteurs allemands Kölreuter et Gärtner ont apporté la preuve que la fécondité des plantes hybrides ne tarde pas en général à s’éteindre. Si les résultats des observations ne s’accordent pas dans toutes les circonstances, c’est que, parmi les plantes comme parmi les animaux, la stérilité des individus provenant de deux espèces différentes ne s’accuse pas d’une manière absolue. Sur ce sujet, on doit à M. Charles Naudin des expériences singulièrement instructives ; elles ont été poursuivies sans relâche pendant huit années avec tous les soins et toutes les précautions qu’exige l’investigation scientifique[2]. Une belle-de-nuit est fécondée par le pollen d’une autre espèce du même genre[3] ; de l’opération pratiquée sur deux fleurs, on n’obtient que deux graines, une seule produit un hybride remarquable. Cette plante devient énorme, elle se couvre d’une immense quantité de boutons, les trois quarts tombent sans s’ouvrir ; elle donne néanmoins plus de trois cents fleurs dans l’espace de deux mois et demi : toutes demeurent stériles malgré les soins que prend l’opérateur pour féconder les ovaires. La primevère commune reçoit le pollen de la primevère à grandes fleurs[4] ; les graines donnent des plantes qui dénotent à tous les yeux le mélange des deux espèces : une seconde génération s’élève alors. On voit dans le même semis des fleurs presque semblables

  1. Ces sphinx, nommés Deilephila epilobii et Deilephila vespertilioides, naissent de l’union d’une espèce très commune, le Deilephila euphorbiœ, avec le Deilephila vespertilio et le Deilephila hippophaes.
  2. Nouvelles Recherches sur l’hybridité dans les végétaux. — Nouvelles Archives du Muséum d’histoire naturelle, t. Ier.
  3. Mirabilis jalapa, fécondé par le mirabilis longiflora.
  4. Primula officinalis et primula grandiflora, l’une et l’autre cultivées dans les jardins.