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avec la plus grande dignité, sans conspirer, sans se plaindre. Qu’on se rappelle la noble conduite de l’évêque de Cuenca et de son clergé pendant le sac de la ville par les bandes carlistes : on les vit à travers le massacre et l’incendie s’élancer au-devant de la soldatesque en fureur, lui disputer ses victimes, soigner et consoler les blessés ; puis, comme le prélat, s’adressant à doña Maria de las Nièves, femme de don Alphonse, frère du prétendant, la suppliait au nom du Christ de mettre un terme à tant d’horreurs, et que la jeune princesse, excitée par la victoire, s’était laissée aller à des paroles de colère et de menace : « Madame, répondit l’évêque avec une éloquence prophétique, digne d’un père de l’église, ce n’est pas ainsi que l’on conquiert un trône sur la terre ni des couronnes dans le ciel. »

Du reste, la cour de Rome n’a jamais appuyé, même indirectement, les prétentions de don Carlos. Pour un prince cependant qui se dit le soutien de l’orthodoxie, l’approbation du Vatican semblerait nécessaire, et il est permis de croire qu’il a tout fait pour l’obtenir ; mais Pie IX est le parrain du fils d’Isabelle II ; c’est lui qui a fait accomplir au prince Alphonse ses premiers devoirs religieux. De tout temps, le pape a montré pour la reine d’Espagne la plus affectueuse bienveillance ; bref il verrait avec plaisir la restauration de son filleul, et il ne s’en cache pas. En dépit de quelques influences puissantes dans son entourage, qui depuis longtemps déjà travaillent en faveur du prétendant, il n’a pas même voulu accorder à l’armée carliste la nomination d’un aumônier-général qu’on réclamait de lui.

À défaut de la foi et de l’orthodoxie, le parti carliste au moins représente-t-il le patriotisme ? Mais on l’a vu en toute occasion profiter des malheurs ou des embarras du pays pour lever l’étendard de la révolte. En 1860, l’Espagne se trouvait en guerre avec le Maroc, jamais expédition ne fut plus populaire dans la Péninsule ; c’était un premier effort, une première preuve de vitalité après tant d’années d’apathie et d’abaissement ; l’armée entière était en Afrique. Le comte de Montemolin, fils de Charles V, et son plus jeune frère, don Fernando[1], choisirent un pareil moment pour débarquer en Catalogne avec quelques soldats et un général Ortega qu’ils avaient gagné. On réunit à la hâte le peu de troupes qu’on avait sous la main, et en quelques heures le gouvernement d’Isabelle eut raison de cette équipée, où l’odieux le dispute au ridicule. Ortega, qui avait trahi, — il commandait les Baléares, — fut passé par les armes ; on fit grâce aux princes et au général Elio. Cette tentative est

  1. Le prétendant actuel est fils aîné d’un deuxième frère, don Juan, qui renonça en faveur de son fils aux prétendus droits à lui transmis par la mort du comte de Montemolin.