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du reste l’unique signe d’existence qu’ait jamais donné Charles VI ; à peine conçoit-on que les siens l’intercalent dans la liste de succession à la couronne après un pareil exploit, et que le prétendant consente à le rappeler sans cesse en adoptant le chiffre VII.

S’il importait à l’honneur de l’Espagne de terminer sans préoccupations intérieures la guerre contre le Maroc, du moins ses intérêts n’eussent-ils pas été sérieusement compromis par une défaite ; il n’en est pas de même de la lutte qu’elle soutient aujourd’hui contre les insurgés de Cuba. Ici l’intérêt et l’honneur sont également engagés. Plusieurs des provinces et des grands ports de commerce de l’Espagne vivent exclusivement de leurs rapports avec La Havane, Santiago, Matanzas ; qu’elle perde sa belle colonie, les conséquences en seront désastreuses pour Barcelone et la Catalogne, Santander et la Vieille-Castille, Cadix et l’Andalousie. Cette question de Cuba est des plus complexes : les États-Unis, sous divers prétextes, aident les insurgés, et il semble bien difficile qu’après tant de sang versé l’accord se fasse jamais sincère entre la colonie et la mère-patrie. Cependant, si depuis six ans, malgré les désordres de la Péninsule, l’Espagne a su se maintenir à Cuba, libre de toute complication domestique, disposant d’un plus grand nombre de soldats, elle eût fait mieux et davantage ; elle eût pu dès le début comprimer le soulèvement, et tout aussi bien faire droit à ce qu’il y a de juste et de légitime dans les réclamations des créoles. La diversion opérée par don Carlos a divisé ses forces, distrait son attention, et favorisé les progrès de l’insurrection cubaine. Si jamais la grande Antille est perdue pour l’Espagne, la responsabilité doit en retomber en grande partie sur les carlistes.

Ce manque de patriotisme, cette propension à mettre à profit les maux du pays ne rend que trop probable les bruits qui coururent l’été dernier sur la connivence du parti carliste avec les insurgés de Carthagène. Il est certain que ces derniers, en soulevant l’est et le midi, faisaient le jeu de don Carlos dans le nord ; mais il est un indice plus frappant encore. L’amiral Anrich, ministre de la marine sous Pi y Margall, c’est-à-dire sous le ministère le plus anarchique qu’ait eu l’Espagne et dont le chef n’était pas sans entretenir des relations avec les insurgés de Carthagène, a passé cet hiver au prétendant après avoir lancé un manifeste où il se vantait d’avoir été et d’être resté toujours carliste ; ainsi ce défenseur de l’absolutisme avait consenti à partager le pouvoir avec un ami de Contreras ; tout le parti néanmoins l’a accueilli à bras ouverts.

Don Carlos, dans ses manifestes, déclare bien haut qu’il apporte à l’Espagne l’ordre, la sécurité, la richesse ; mais en attendant, sans parler de tant de combats qui coûtent chaque jour à l’Espagne le plus pur de son sang, sans parler des sommes immenses dépensées