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majorité de la nation espagnole est fortement attachée à l’idée de liberté ; elle en déteste les exagérations, elle déplore les troubles que lui ont causés les divers essais de pratique tentés depuis six ans, mais plus encore elle déteste l’absolutisme traditionnel représenté par don Carlos et les siens. Il y eut un moment où le carlisme avait quelques chances de l’emporter : c’était pendant l’été dernier, alors qu’avaient lieu les scènes de cannibalisme d’Alcoy et que les cantonalistes tenaient Carthagène. Tel était l’effroi qu’inspiraient les doctrines de ces furieux, tel était le désarroi du gouvernement, la désunion des partis, la désorganisation de l’armée, tout autre solution semblait si difficile, que beaucoup, libéraux encore, mais avides surtout d’ordre et de sécurité, étaient déjà prêts à se jeter dans les bras du prétendant. Si don Carlos avait su secouer l’influence de son entourage et adopter des idées libérales, peut-être maintenant régnerait-il à Madrid. Depuis lors un nouveau gouvernement s’est fondé, plus solide et plus ferme, mieux obéi en tout cas, l’armée a repris des habitudes de discipline, et le carlisme a perdu sa dernière chance de succès.

L’annonce de la prise de Cuenca a causé en Europe un grand étonnement. On y a vu l’indice d’une force redoutable chez les carlistes. À 30 lieues de Madrid et presque sous les yeux du gouvernement, une ville importante venait d’être enlevée par les troupes du prétendant. Or que dirait-on, si l’on voyait Mendiri ou Dorregaray partir des provinces basques, traverser toute la Vieille-Castille, la Manche, l’Andalousie, être partout vainqueur et revenir avec plus de soldats qu’il n’en emmenait au départ ? Que dirait-on encore si, après une expédition de ce genre, don Carlos lui-même avec toute son armée se présentait aux portes de Madrid ? Ne croirait-on pas que tout est fini et que l’Espagne n’a plus qu’à subir le roi que la victoire lui a donné ? Ces choses-là pourtant sont déjà arrivées. Qu’on ouvre l’histoire de la guerre civile de 1833 à 1839 : on y lira les expéditions de Gomez et de Zariategui, prodiges d’audace ; on y verra don Carlos, l’aïeul du prétendant actuel, près d’entrer dans Madrid, qui se trouve pour ainsi dire sans défense, et tout à coup cet appareil formidable s’évanouit en fumée. Il en serait de même aujourd’hui : cela tient à la supériorité réelle des élémens qui luttent contre le carlisme et qui, convaincus de la nécessité d’un effort sérieux, seront irrésistibles ; les ressources de quarante et une provinces, restées fidèles au gouvernement, auront raison des huit autres. Cela tient aussi à l’antipathie profonde qu’inspirent à la généralité du pays le carlisme, ses idées, son programme, et qui, plus forte encore que les armes, ne lui permettra point de s’établir.

Du temps de Prim, caractère énergique, un premier soulèvement carliste fut réprimé en quelques jours. Plus tard, sous le règne