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s’en est emparée ; le cabinet de Berlin s’est présenté en protecteur et défenseur de l’Espagne libérale ; même il s’est employé à lui trouver des alliances. D’intervention armée, quoi qu’on en ait dit, il ne pouvait être question. L’Espagnol, on le sait, est jaloux entre tous de son indépendance, il tient à régler lui-même sa destinée, il veut ne devoir la défaite du carlisme qu’à ses propres efforts, et rien n’égale son orgueil que sa ténacité. Au moment même où les carlistes entraient à Cuenca, à 30 lieues de la capitale, le gouvernement donnait l’ordre d’envoyer un renfort de 12,000 hommes à La Havane pour combattre l’indomptable insurrection de Cuba. Bien loin de témoigner la moindre reconnaissance envers le pacificateur étranger, la nation entière rougirait de sa présence comme d’un affront.

Est-ce à dire que la Prusse veuille soutenir l’Espagne d’une façon toute désintéressée, et qu’elle cherche seulement dans des triomphes diplomatiques une satisfaction d’amour-propre ? Il faudrait mal connaître l’histoire et le caractère de la politique allemande dans ces dernières années pour croire qu’elle n’a pas, en ceci comme en tout le reste, un but sérieux et bien défini. On a dit, sans aucune preuve, il est vrai, qu’elle songeait à se faire céder par l’Espagne, en retour de ses bons offices, un point quelconque de territoire, le port de Santoña par exemple, qui deviendrait un Gibraltar germanique, ou bien encore Porto-Rico, les Philippines ; mais là encore le grand-chancelier risquerait de voir ses plans contrariés par le patriotisme espagnol. Son ambition est plus habile, sinon plus modeste. De tous côtés et par tous les moyens, il cherche des alliés ; à tout le moins veut-il isoler la France, et pour cela il exagère à dessein les conditions de solidarité qui existent entre les différens pays et les questions qui s’y agitent. Il n’est peut-être pas de contrée en Europe dont on n’ait pas dit au-delà du Rhin qu’elle avait un intérêt direct et indiscutable à s’unir avec l’empire allemand contre la France ; l’Espagne à son tour deviendrait le théâtre de la lutte unique et universelle que la Prusse veut voir engagée dans toute l’Europe. Peu s’en est fallu que l’exécution du capitaine Schmidt ne fût présentée comme un incident de la querelle des vieux-catholiques d’Allemagne et comme une attaque directe à l’établissement de l’empire. Une chose des plus curieuses à notre époque, c’est la confusion que la question religieuse a introduite dans la politique européenne : les conservateurs anglais sont les ennemis de la hiérarchie catholique et de la cour de Rome, qui trouve ses alliés dans les whigs et les radicaux ; les gouvernemens conservateurs de Berlin et de Saint-Pétersbourg sont de même en guerre avec cette religion plus que conservatrice, immuable ; la France, démocratique et voltairienne, se trouve le principal appui du Vatican,