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dont les idées sont si opposées aux siennes. En Espagne cependant, où l’on peut s’abstenir des querelles internationales, pour ce qui touche à la question religieuse, les divers partis sont demeurés logiques. Sans doute le carlisme a voulu faire prendre le change en se donnant comme le représentant de l’orthodoxie catholique, et du même coup il a enveloppé tous ses adversaires dans une accusation d’hérésie ; mais ceux-ci, nous le savons, n’acceptent pas le reproche. Les persécutions contre l’église d’Allemagne blessent profondément les sentimens religieux de la presque unanimité du peuple espagnol ; à moins de se renier lui-même et de mentir à son passé, ce peuple ne souffrira pas qu’aujourd’hui, sous un prétexte plus ou moins spécieux, on violente sa liberté de conscience, et toutes les subtilités de la diplomatie ne parviendront pas à lui arracher du cœur cette foi, cet amour de la religion qui constitue, pour ainsi dire, un des principaux caractères de sa nationalité.

En politique, la conduite de l’Espagne semble tracée d’avance. Que la Prusse, qui s’étonne elle-même de sa prodigieuse fortune, cherche à se faire des alliances dont elle sent le besoin, c’est son droit ; mais l’Espagne évidemment est désintéressée dans le débat. La lutte entre le carlisme et l’Espagne libérale avait commencé bien longtemps avant la restauration par la Prusse de l’antique empire d’Allemagne, avant Sedan et Sadowa ; cette question est purement espagnole, ne touche en rien à l’autre, et l’on ne saurait y voir, à moins d’un parti-pris, le contre-coup des événemens qui se sont passés sur le Rhin. Par sa langue et ses origines, par sa position surtout, l’Espagne peut rester en dehors de toute complication européenne ; elle ne songe point à étendre ses frontières, et nul ne pense à les altérer ; la neutralité de la ligne des Pyrénées qui importe tant à la France n’importe pas moins à l’Espagne, puisqu’elle l’affranchit de la menace des conflits futurs, et lui permet de suivre une politique vraiment nationale et indépendante. L’Espagne libérale et catholique prendra-t-elle pour tuteur et représentant le césarisme protestant de Berlin ? Acceptera-t-elle ce vasselage diplomatique que le grand-chancelier essaie d’imposer au reste de l’Europe ? engagera-t-elle pour l’avenir sa liberté d’action ? fera-t-elle de ses destinées futures un incident secondaire des conflits franco-allemands ? Quels que soient les services qu’ait pu lui rendre l’Allemagne, ou ceux qu’elle en attend encore, elle les paierait bien cher, si ce devait être au prix de son indépendance.

En résumé, l’Espagne n’avait avec la Prusse aucun lien commun d’intérêt ou de sympathie ; tout au contraire, ses origines, son histoire, sa religion, sa position géographique, ses intérêts industriels et commerciaux semblaient la rapprocher de la France. C’est le tort de cette dernière de s’être par sa politique aliéné l’une après