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s’y rendait pas bien compte de ce qu’étaient les Allemands, on n’avait jamais entendu parler d’eux dans l’histoire de ces contrées, et leur pavillon ne s’était guère, jusqu’à ces dernières années, montré dans ces mers lointaines. Enfin, en tenant compte de l’orgueil birman, il est permis de supposer que le roi de Birmanie se flattait de voir son alliance bienvenue comme pouvant être de quelque utilité dans le cas d’une nouvelle guerre avec nos ennemis. Certaines discussions qui eurent lieu à Mandalay lors de l’échange des ratifications permettent d’affirmer que cette illusion existait dans l’esprit du souverain.

Au commencement d’octobre 1873, la mission chargée de porter le traité à Mandalay et d’en obtenir les ratifications s’embarquait à Marseille, et se rendait d’abord à Calcutta. Il était sage en effet d’avoir avec le vice-roi des Indes une entrevue pour lui donner l’assurance que l’on n’allait en Birmanie soulever aucune question politique. La mission était chargée de présens de grande valeur pour le roi des Birmans : c’étaient deux grands vases de Sèvres, une tapisserie des Gobelins, plusieurs armes à feu de luxe, une pendule, des objets de parfumerie, et surtout des poupées mécaniques et des jouets tous plus ingénieux les uns que les autres. Le vice-roi n’était pas à Calcutta ; il était à Agra, dans le haut de la vallée du Gange. La mission s’y rendit sur son invitation et reçut l’accueil le plus aimable. Elle profita de son séjour dans ces parages et des facilités qui lui furent offertes pour visiter Delhi et Bénarès, puis s’embarqua pour Rangoon, chef-lieu de la Birmanie anglaise.

Le commissaire-général reçut très hospitalièrement les envoyés français, tout en étant peut-être un peu inquiet sur le véritable but de leur mission. Devant les assurances qu’on lui donna, il put abandonner toute préoccupation, et le 20 décembre la mission française s’embarquait pour remonter l’Irawady jusqu’à Mandalay. Le roi avait frété à cet effet un des bateaux de la compagnie anglaise, qui fait un service régulier et postal sur ce fleuve.

Le 23, le vapeur franchissait la frontière qui sépare la Birmanie anglaise de la Birmanie indépendante et mouillait à Meubla, premier poste de Haute-Birmanie, situé sur la rive droite du fleuve. À Rangoon, la mission avait rencontré, venant au-devant d’elle pour l’accompagner jusqu’à Mandalay, Mgr Bourdon, évêque de la Haute-Birmanie, homme agréable, instruit, et très digne représentant de l’église catholique dans ces contrées, puis un envoyé du roi dont le rang pourrait être comparé à celui de secrétaire d’ambassade. Ce personnage se distinguait par sa nature joviale et par un appétit formidable. Il avait fait partie de l’ambassade qui avait préparé le traité à Paris ; nous avions pour lui la croix de chevalier de la Légion