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dit le gamin, à ta place j’irais ; je voudrais battre le cheval bai de Conkey, qui croira que tu as peur, s’il ne te voit pas venir. La mère n’a pas le droit de te forcer à t’asseoir pour écouter le vieux Donaldson par une belle journée comme celle-ci.

Morton s’arracha brusquement à la contemplation des beautés de sa pouliche. — Assez ! dit-il, et que je ne t’entende jamais parler ainsi de la mère. Si cela pouvait la consoler un peu, j’irais à l’église tous les jours de la semaine. Je deviendrais ministre pour la voir sourire de joie en y songeant. — Et il acheva de seller Blaze, le vieux cheval de Mme Goodwin, tandis qu’Henry, tout en tirant la sangle, répondait :

— Moi, je n’aime pas qu’on me gêne, je veux faire ce qui me convient. — Le petit drôle méditait plus d’un mauvais tour à jouer pendant que sa mère serait à l’église.

Morton mit le pied de Mme Goodwin à l’étrier, arrangea avec soin la longue jupe d’amazone, puis il enfourcha Dolly, qui se mit à faire des siennes, comme s’y attendait son cavalier. Celui-ci eût trouvé fort maussade la promenade d’une dizaine de milles jusqu’à l’église, n’eût été le plaisir de faire sentir à l’orgueilleuse bête qu’il était son maître.

Ce jour-là, il trouva le sermon plus intéressant que de coutume. La controverse, antérieure à la révolution, qui divisa les presbytériens n’était pas éteinte dans l’ouest, et le curé Donaldson était un presbytérien a du vieux côté. » Son visage anguleux, sa voix dure, tout révélait en lui la combativité. Ses attaques furent dirigées en particulier contre les meetings de méthodistes. Le camp du Grand-Champ-de-Cannes subsistait encore dans la mémoire de chacun, et pour la centième fois M. Donaldson tonna contre ces rassemblemens de fanatiques, affirmant que les prédicateurs ambulans n’étaient que des vagabonds illettrés, des braillards, des traîtres au protestantisme, puisqu’ils niaient la doctrine de la justification par la grâce, enseignant de préférence le salut mérité par les œuvres. Dans son zèle, le bon curé calomniait un peu ses adversaires, c’était chose reçue dans ce temps-là des deux côtés. Morton, que l’esprit de combativité possédait, lui aussi, au plus haut degré, fut fort échauffé par ce discours, et en retournant au logis déclara qu’il irait volontiers à l’église, quelque temps qu’il fît, si le prédicateur voulait chaque fois distribuer de ces coups de massue. Il faut avouer qu’après le sermon Morton avait rendu visite au presbytère, et que l’eau-de-vie de cerises de M. Donaldson, flatté de voir un jeune homme venir de si loin pour l’entendre, contribuait peut-être à exalter ces vaillantes résolutions. Quoi qu’il en fût, l’occasion de lutte tant désirée ne tarda pas à se présenter. Comme