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tôt ou tard devant un juge à qui ses menaces ne feront pas peur… À mon avis, voilà tout ce que nous verrons de vraiment amusant au jour du jugement. Il aura beau parler de ses alliances avec les premières familles ; qu’en dites-vous ?

Brady se mit à rire bruyamment ; quand il eut fini, Morton proposa le plan de sa mère, qui fut d’abord repoussé par Kike.

— Je ne reculerai pas ! s’écria-t-il. Jamais ! Il croirait que je me sauve. — Cependant la perspective de partir pour la chasse en compagnie de Morton le séduisait fort.

— Allons ! dit Brady, tu ne résisteras point à l’envie de te pommader avec de la graisse d’ours. Si le capitaine vend tes propriétés, tu auras toujours le temps de mettre le feu aux siennes à ton retour. Les greniers sont neufs ; ils seront bien mieux garnis dans ce temps-là. D’ailleurs tu t’exerceras sur les ours pour ne pas manquer ton cher oncle.

Cette façon de présenter les choses plut à Kike et calma ses scrupules. Tandis qu’il hésitait encore, la mère déclara qu’il partirait, et, longtemps avant le lever de l’aurore, les deux jeunes gens, après une nuit d’insomnie provoquée chez chacun d’eux par des causes différentes, partirent le fusil sur l’épaule. Le vénérable Blaze portait leurs bagages, Dolly étant trop jeune et trop étourdie pour qu’on lui confiât une aussi grave besogne.


III. — RÉCONCILIATION.

Après deux semaines remplies par ces alternatives de déceptions et de succès que connaissent les chasseurs, Morton et Kike trouvèrent nécessaire d’interrompre la vie errante l’espace d’une journée pour renouveler leurs munitions dans la colonie la plus proche. Le magasin auquel ils s’adressèrent et qui formait le centre de cette colonie était une cabane où l’on vendait à la fois de la poudre, du plomb, deux ou trois chapeaux de femme, quelques aunes de rubans à bon marché, quelques écheveaux de fil, des fleurs artificielles, de la faïence, du drap commun, du tabac à fumer et à chiquer, un peu de thé, beaucoup de whisky et d’eau-de-vie de pomme. À l’un des bouts du bâtiment était une grande chambre éclairée par une étroite fenêtre. Dans cette chambre, qui renfermait trois lits, et dans le grenier au-dessus, le nommé Wilkins demeurait avec sa famille et tenait auberge.

Si nos chasseurs rendirent visite à l’établissement en question, ce ne fut pas par besoin de repos, mais ils commençaient à se sentir un peu isolés, et le dimanche devait infailliblement leur procurer quelques