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D’un autre côté, qu’on y réfléchisse. Au-delà des Alpes existe un gouvernement sensé, conciliant, avec lequel notre cabinet a les meilleurs rapports, qui représente au pouvoir une opinion considérable, l’opinion de l’immense majorité de l’Italie, portée par toutes ses sympathies vers la France. Le ministre des affaires étrangères notamment, un esprit des plus prudens, des plus élevés, M. Visconti-Venosta, conduit depuis longtemps la diplomatie italienne avec autant de sûreté et de prévoyance pour son pays que d’égards pour nous. Aujourd’hui des élections vont avoir lieu pour le renouvellement de la chambre des députés. Dans ces élections, cette triste affaire de l’Orénoque jouera nécessairement un certain rôle ; elle sera exploitée, on s’en fera une arme contre le ministère, contre le parti modéré que représente le ministère. Un acte d’amitié par le rappel spontané et opportun d’un navire inutile produirait sans doute au contraire une heureuse impression ; il serait aux yeux de l’Italie le prix d’une politique de modération et de cordialité avec la France. Oui, qu’on y réfléchisse bien : est-il prudent de laisser les élections italiennes se faire sous le poids d’une question nationale non résolue, d’une question que le ministère lui-même peut être tenté de relever pour se prémunir contre des entraînemens d’opinion, ou dont peut profiter au scrutin une opposition connue pour ses sentimens anti-français ? Qui donc peut recueillir l’avantage de tout cela ? On sait bien qu’il y a dans le monde des politiques d’une certaine importance qui ne demandent pas mieux que de tirer parti de nos hésitations, d’ajouter à nos embarras, d’isoler la France, d’exciter contre elle les défiances, les animosités ou les susceptibilités ; on n’ignore pas que ces politiques sont à l’œuvre en Italie comme ailleurs. Le seul moyen qu’ait la France, c’est de ne point donner des armes contre elle, de garder au moins les amis qu’elle peut avoir si aisément, d’en acquérir de nouveaux si elle peut, et c’est en agissant ainsi, en sachant se décider à propos, qu’elle peut maintenir sa dignité là où elle serait en jeu. Dussent les légitimistes pointus refuser pour cela au ministère un vote qu’ils ne semblent guère disposés à lui accorder, le gouvernement n’aurait pas pour sûr acheté trop cher à ce prix le maintien, la consolidation des rapports de confiance et d’amitié entre la France et l’Italie.

C’est autre chose en Espagne, bien que ce soit au fond un peu la même question, puisqu’il s’agit toujours de choisir entre une politique libérale et la cause de l’absolutisme, qui combat sous le drapeau carliste. L’Espagne libérale est à Madrid, cela n’est point douteux, et la France n’a fait que se conformer à ses traditions comme à ses intérêts en reconnaissant le gouvernement de Madrid avec les autres puissances de l’Europe, qui l’ont reconnu à peu près simultanément. Seule la Russie s’est abstenue, et on a même parlé d’une lettre que l’empereur Alexandre aurait écrite au prétendant don Carlos, ce qui ressemblerait à une singulière dissonance dans le concert diplomatique du moment.