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la résidence du souverain et celle de ses 300 femmes, les jardins du roi, la salle de conseil des ministres, la résidence du chef de la religion, la haute cour de justice, l’habitation de l’éléphant soi-disant blanc, l’hôtel de la monnaie, l’arsenal secret. Tandis que le palais n’est entouré que d’une haute palissade en bois de teck, la « ville intérieure » est bordée d’un grand mur, sur le haut duquel circulent des patrouilles, et tout à l’entour est un canal plein d’eau qui peut avoir 30 mètres de large. Les rues sont toutes à angle droit, ressemblant à nos boulevards, sauf toutefois sous le rapport de l’entretien, et les chars à bœufs, seuls véhicules du pays, doivent présenter des garanties de solidité toutes spéciales pour résister aux cahots qu’ils éprouvent. Les maisons sont en bois de teck et en jonc tressé ; on en voit quelques-unes en maçonnerie, mais c’est l’exception. Sauf dans les quartiers un peu élevés, les maisons sont sur pilotis à cause des inondations périodiques ; l’eau circule ainsi sous le plancher, et on sort de chez soi en barque pendant deux mois de l’année. Il y a enfin la ville extérieure, où l’on distingue le quartier des Chinois, celui des Persans, etc.

La résidence construite pour la mission française était dans cette troisième enceinte, mais très près du canal. Elle consistait en une maison sans étages, bâtie sur pilotis, confortablement distribuée, au milieu d’un vaste enclos d’environ 60 mètres de côté. Les cuisines, les écuries et le logement des officiers birmans attachés au service de la mission constituaient trois autres maisonnettes. Cet enclos avait deux portes, et à chacune d’elles était affecté un corps de garde ; le rôle de ce dernier ne consistait pas à rendre des honneurs ou à nous préserver des voleurs. Des honneurs, ces excellens soldats ne sauraient par quel bout prendre leurs fusils pour les rendre ; quant aux voleurs, nous avons plusieurs fois été victimes de leur industrie, mais la garde ne nous a été d’aucun secours dans ces occasions. Nous pensons qu’elle n’était là que pour épier nos moindres gestes et les rapporter au palais. En effet, pendant près de trois mois de séjour à Mandalay il a été impossible à un membre quelconque de la mission de sortir de la maison sans être suivi par l’un des gardes.

La maison avait été parfaitement montée, avec des attentions délicates ; le maître d’hôtel et le cuisinier étaient tous deux Français, et, si la cuisine laissait à désirer, c’était plutôt à cause de la matière première que par la faute de l’artisan. En effet, en Birmanie il n’y a pas de moutons, et il est expressément défendu d’abattre un bœuf. Un jour, fatigués de la chèvre et du riz, nous décidâmes la mort d’un veau. L’exécution eut lieu la nuit, clandestinement ; eh bien ! croirait-on que la garde qui veillait aux portes de notre palais