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entendit les plaintes de la victime ? La viande fut saisie, et il fallut presque échanger des notes diplomatiques au sujet de la mort de ce jeune quadrupède, lequel renfermait peut-être l’âme de quelque personnage illustre qui n’avait pas fini la série de ses épreuves ici-bas. Il est cependant permis de manger de la volaille, de la chèvre et du gibier ; il faut croire que les âmes qui passent dans le corps de ces animaux sont celles de personnages bien peu intéressans. Toutefois pour la chasse faut-il encore aller à une certaine distance de la capitale et éviter que le roi n’entende les coups de feu. Dans les écuries de la mission se trouvaient une dizaine de poneys à la disposition des envoyés français. Nous avions eu occasion de remarquer combien ces petits chevaux étaient bons, mais nous étions frappés de la maigreur et du mauvais état de ceux de la résidence, bien qu’on nous eût dit qu’ils sortaient des écuries royales. Nous en eûmes bientôt l’explication, et le régime financier et administratif du gouvernement birman nous apparut dans toute sa simplicité. Le roi se dit que, s’il dépensait chaque jour la somme raisonnablement nécessaire à l’entretien de ses chevaux, le ministre des écuries retiendrait pour lui-même la moitié de cette somme ; il pense donc mieux faire en ne déboursant que la moitié de la somme nécessaire ; mais de son côté le ministre des écuries, à qui le roi joue ainsi un très vilain tour, se rattrape sur la deuxième moitié, et l’on devine ce qui reste aux chevaux pour manger.


III.

C’est dans cet établissement que la mission eut à passer deux mois et demi, tandis que son but véritable n’aurait dû exiger que quelques jours de présence. Les environs de Mandalay sont plats et couverts de rizières ; on y rencontre beaucoup de bécassines. Le long du fleuve, on peut chasser le canard, et dans les nombreux étangs qui entourent la ville on rencontre du gibier d’eau de toute nature. À quelques lieues vers l’est ou vers l’ouest commencent les montagnes, et, lorsqu’on s’en approche, la nature change d’aspect ; il faut avoir vu ces plantations d’aréguiers pour s’en faire une idée. Cet arbre, sorte de palmier haut et mince, se plante en quinconce, chaque pied n’étant pas à plus de 1m, 50 de ceux qui l’environnent. Lorsqu’un Birman ne fume pas un de ces longs et mauvais cigares de son pays, il mâche du bétel, il n’interrompt l’un ou l’autre de ces exercices que pour manger ou pour dormir. Avant chaque repas, il se rince la bouche afin d’enlever tout ce jus noirâtre et hideux que produit la mastication du mélange composé d’une feuille