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et de trahison, à consentir l’enregistrement ; elle prenait acte de cette contrainte en appliquant la célèbre formule : « de l’exprès commandement du roi. »

Faut-il conclure de là que les remontrances des cours souveraines étaient chose absolument vaine, que la royauté n’avait pas lieu d’y prêter attention, et que cela ne gênait en rien ses tendances vers l’absolutisme ? Ce serait une erreur. Les membres du parlement et de la chambre des comptes purent être tentés en certains cas, sous l’influence d’intérêts de corps ou de pensées ambitieuses, d’abuser du droit de remontrances ; il est possible qu’à de certaines époques une opposition tracassière se soit ainsi formée ; mais presque toujours ce furent de graves paroles qu’apportèrent aux rois les chefs de la magistrature. On doit penser que la voix de la justice fut plus d’une fois écoutée ; il arriva, nous en avons les preuves, qu’après avoir entendu les remontrances les souverains firent des concessions. Ce qui donnait aux magistrats le courage de parler, ce qui imposait aux rois de ne pas franchir certaines limites, c’était la conscience qu’avaient les uns et les autres d’un sentiment général qui animait la nation. S’il est vrai que ce qu’on a appelé la puissance de l’opinion soit un élément tout moderne, éclos au XVIIIe siècle, il y avait du moins autrefois dans un grand pays tel que la France un ensemble d’idées communes, enfantées par le génie national, transmises par la tradition, qui constituaient l’esprit public. Là était la plus forte barrière contre l’absolutisme royal ; on applaudissait les cours souveraines de bien satisfaire à ce que l’on considérait comme leur strict devoir envers les peuples et envers les rois eux-mêmes. Le cérémonial qui les obligeait à se rendre en grand appareil à la résidence royale pour présenter les remontrances n’était pas inutile : le peuple était averti par là et comprenait qu’il y avait quelque part un examen des affaires de l’état. On voit dans le recueil de M. de Boislisle que les remontrances étaient souvent préparées par le corps de ville, le parlement, la chambre des comptes et la cour des aides réunis dans une même résistance : c’était là sans doute une ligue imposante et dont l’action risquait d’être efficace. Les remontrances d’ailleurs ne manquaient pas d’échos dans le pays ; les cours souveraines, pour peu qu’un débat important se prolongeât, les faisaient publier clandestinement. La chambre des comptes par exemple, voulant maintenir sa popularité, laissa parfois imprimer sous main le texte même de ses remontrances, avec des titres significatifs, comme : de la multiplicité des impôts et de la misère des peuples. Aussitôt que paraissait le placard, le procureur-général de la chambre s’empressait de venir le dénoncer, et protestait contre une publicité qu’on ne pouvait donner sans témérité ni sans indécence,