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entier, à plus forte raison l’histoire générale des littératures est-elle tout à fait négligée. Expliquer les grands monumens de la prose ou de la poésie par la place qu’ils occupent dans le développement d’une civilisation est difficile avec une pareille méthode. Le professeur ne songe guère non plus à marquer le rapport des productions littéraires et des révolutions survenues dans la société et dans les mœurs. Ainsi les données réelles lui manquent de tous les côtés. Les élèves se lassent des finesses du goût, des lieux-communs sur les passions ; ils arrivent très vite à ne plus trouver aucun intérêt aux leçons qu’ils reçoivent. La plupart d’entre eux n’ont entr’ouvert au collège les maîtres du génie humain que pour en méconnaître la grandeur. Par cette méthode, on isole la littérature des autres sciences morales, auxquelles elle devrait toujours rester si étroitement unie ; par là surtout on persuade aux jeunes gens que l’éducation littéraire est finie avec le lycée, et combien d’esprits intelligens n’enlève-t-on pas ainsi aux hautes études ! Quand le ministère prescrivit aux étudians en droit de suivre les cours des facultés des lettres, aucune pénalité ne put les y contraindre. Ils ne voyaient dans cette mesure qu’une perte de temps sans aucun profit.

En Allemagne, la méthode est plus simple, moins brillante, mais elle est plus précise ; les élèves, en passant d’une classe dans une autre, ajoutent à des notions très nettes des connaissances presque toutes matérielles, mais dont l’intérêt est incontestable. Ils arrivent ainsi jusqu’à l’université, qui est la suite nécessaire du gymnase : les deux enseignemens ont un caractère commun ; ils se complètent l’un l’autre, ils sont également scientifiques. La différence est grande entre les habitudes des facultés en Allemagne et en France, et il est facile de voir de quel côté se trouvent les conditions les plus favorables aux progrès des études savantes. Chez nous, un professeur s’impose presque toujours des leçons personnelles qui lui donnent beaucoup de peine ; en Allemagne, il reprend chaque année un programme qui varie fort peu ; il expose l’ensemble d’une science en se conformant à un ordre toujours le même. Il peut paraître dans sa chaire cinq et six fois de suite, tandis que le meilleur de nos maîtres suffit à peine à une leçon oratoire tous les huit jours. Comme le docteur allemand s’adresse à des élèves qui se renouvellent sans cesse, il n’a d’autre obligation que de tenir ses cahiers au courant de ce qui s’écrit de nouveau sur le sujet. Son rôle est à beaucoup d’égards celui de nos professeurs de droit et de médecine, qui enseignent des sciences bien définies. Ainsi il intéresse les élèves par un corps de doctrine complet, et en même temps il se réserve des loisirs qui lui permettent de marquer par de nouvelles découvertes dans les études auxquelles il se consacre.

Il y a quelques années, un de nos humanistes les plus distingués