Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restait coiffé d’une sorte de gâteau de Savoie doré, en très mauvais état d’ailleurs, — cette raison nous parut spécieuse ; — ensuite parce que du moment où on saluait en se découvrant les pieds, à la mode birmane, il n’y avait pas lieu de se découvrir la tête, à la mode européenne, — cette deuxième raison nous parut meilleure ; mais alors, pour être logique, il aurait fallu rester couvert à toutes les autres audiences que nous accorda le roi. Nous ne tardâmes pas du reste à apprendre que cette façon de procéder avait profondément blessé le roi. Nos débuts n’étaient vraiment pas heureux, nous avions réussi à mécontenter le souverain dès le premier jour, et ce petit événement défraya pendant longtemps à nos dépens la presse anglaise de Rangoon et de Calcutta. La colère du roi se porta sur le malheureux et sympathique Pangyet-Wondonk, qu’on rendit responsable de ce manque à l’étiquette.

Accroupis sur le tapis, les pieds cachés aux yeux du roi, c’est-à-dire placés dans une direction opposée à celle de son siège, nous attendîmes dans cette posture peu commode. Enfin la porte du fond s’ouvrit, et le roi, précédé du chef des eunuques, parut ; il s’étendit sur un petit lit préparé à cet effet, entouré des ustensiles qui ne quittent jamais les Birmans de haut rang. Son costume était simple, mais relevé par une rivière de diamans de toute beauté ; la lettre du président de la république fut lue, on échangea quelques paroles banales, et le roi se retira.

Nous eûmes dans la suite plusieurs audiences de sa majesté, dans lesquelles la conversation prit des tournures plus sympathiques. Une fois, nous eûmes occasion de voir la rivière de diamans remplacée par une rivière de rubis non moins belle ; dans une autre audience, le roi, qui paraissait de fort belle humeur, nous fit voir ses plus belles pierres. Un diamant et surtout deux gros rubis attirèrent notre attention ; l’un de ces derniers, probablement unique dans le monde, est de la grosseur d’un œuf de pigeon. Une autre fois, sa majesté, voulant que nous emportions dans nos pays des souvenirs du sien, nous donna différentes choses : c’étaient des boîtes en laque ou en ivoire, des pièces d’étoffes de soie, une coupe en or, etc. Il nous décora également de son ordre dit tsalouê. Que l’on se figure quatre plaques en or réunies par un certain nombre de fils du même métal ; le tout se porte comme une giberne, de façon que l’une des plaques se trouve sur l’épaule gauche, l’autre contre la hanche droite, tandis que les deux autres sont l’une au milieu de la poitrine et la quatrième au milieu du dos. Enfin, à la dernière séance qui nous fut accordée avant notre départ, le roi nous fit remettre en sa présence de volumineux sacs remplis de roupies, pièces de monnaie de la valeur de 2 fr. 50 cent, l’une.