Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/810

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après tant d’orages ? Ce ne fut qu’au moment de quitter Patty qu’il sentit que comme Pierre il avait renié son maître. — Écoutez-moi, je vous en prie, dit-il, je n’agis pas honnêtement avec vous. Il me serait dur, vous le savez, n’est-ce pas ? de renoncer à votre amour, mais j’ai si peur que vous ne me repoussiez lorsque je vous aurai dit…

Les larmes qui brillaient dans ses yeux touchèrent Patty plus que tout le reste. Sans répondre elle lui offrit son joli visage pour un baiser que Morton, frémissant des émotions les plus contraires, lui donna pour la première fois, puis elle s’enfuit.

— Eh bien ! se disait Morton, je le lui écrirai, ou elle l’apprendra par d’autres… — Le souvenir de ce baiser l’électrisait ; c’était à lui qu’il fallait tout sacrifier ; mais soudain sur le chemin de sa demeure une sorte d’épouvante le frappa, il lui parut être un nouveau Judas ; il n’avait pas seulement renié son maître, il l’avait trahi et par un baiser !

Patty était occupée à carder de la laine au milieu de toute sa famille quand Morton, à sa grande surprise, rentra précipitamment dans la maison. — Patty, lui dit-il sans perdre une seconde, tant il avait peur de retomber dans les pièges du diable, — Patty, la grande confession que j’avais à vous faire est celle-ci : je me suis joint à l’église méthodiste !..

La jeune fille se dressa de toute sa hauteur. C’était donc ainsi que sa clémence était récompensée ! Son père était là ricanant comme Méphistophélès ; il s’agissait non-seulement de se venger d’une pareille indignité, mais de montrer le pouvoir qu’une femme de sa sorte pouvait exercer. Tout dans l’éducation de Patty avait tendu à développer un orgueil qui jusque-là, il faut le reconnaître, avait été sa sauvegarde en l’isolant des vulgarités qui l’entouraient ; mais cette fois l’orgueil lui fut fatal.

— Si vous êtes méthodiste, dit-elle avec un calme plus terrible que la colère, je ne vous reverrai de ma vie.

— Par pitié ! murmura Morton tendant vers elle ses mains suppliantes, par pitié ne dites pas cela ! — Son désespoir redoubla l’assurance de Patty au lieu de l’ébranler ; un effort de plus, pensait-elle, et il resterait là enchaîné à ses pieds.

— Jamais, répéta-t-elle, son pâle visage pétrifié, pour ainsi dire, et ses yeux noirs pleins de flamme.

Morton trébucha comme quelqu’un qui va tomber, puis il releva la tête à son tour, et avec une inflexibilité toute virile : — Puisque vous me forcez à choisir, dit-il, je ne trahirai pas ma foi, même pour vous ; mais, ajouta-t-il d’une voix brisée en se détournant, que Dieu vienne à mon secours !