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Pour écarter tout soupçon, elle se para de ses atours les plus éclatans. Aller en grande toilette à un meeting méthodiste était une sorte d’insulte aux yeux des frères ; Patty savait cela ; le défi dans l’âme, elle se dirigea vers la hêtrée où devait se célébrer le service sous les larges branches horizontalement tendues qui garantissaient du soleil un épais tapis roussâtre formé par les feuilles mortes de l’année précédente.

La première personne qu’elle rencontra fut un homme qui priait à l’écart la face contre terre. C’était le prédicateur Russell Bigelow, un talent de premier ordre, disait-on dans tout l’Ohio et l’Indiana. Déjà la congrégation était assemblée. Les étrangers même furent scandalisés de voir une femme élégante prendre place parmi les sœurs vêtues avec une pauvreté ascétique et volontaire ; les gens d’Hissawachee qui la connaissaient la regardèrent abasourdis, ils n’avaient pas oublié de quelle façon Patty Lumsden avait traité les méthodistes en la personne de Goodwin. Elle se sentit donc mal à l’aise jusqu’au moment où l’arrivée du prédicateur vint détourner l’attention. Cet homme, laid et mal vêtu, lui parut d’abord ridicule, mais elle fut étonnée bientôt par la noblesse et la correction de son langage ; ces qualités étaient, croyait-elle, inconnues chez les méthodistes. Il avait pris pour texte les paroles d’Éliézer à Laban : «Je cherche une fiancée pour mon maître, » en les appliquant à l’union de l’âme avec le Christ. Peu à peu Patty devint indifférente à la forme du sermon, tant le fond même l’intéressait, montrant à son cœur affamé d’idéal ce qui lui avait manqué jusque-là, un but dans la vie. Son émotion fut si visible que tous les yeux se fixèrent sur elle : quelle victoire si la fille du capitaine se convertissait publiquement ! Et tout à coup, il se passa une chose étrange : tandis que le prédicateur exaltait la vertu du renoncement, Patty se leva, défit ses pendans d’oreilles, se dépouilla enfin de toute sa parure au milieu des acclamations de la foule. Elle eût dédaigné d’entrer en se cachant dans le royaume du ciel, elle fut superbe et intrépide jusqu’au bout. On n’écoutait plus l’orateur, lui-même s’arrêta, puis, lorsque Patty eut jeté loin d’elle les emblèmes de la vanité, il reprit par un mouvement naïf du plus inconcevable effet : — Alléluia ! j’ai trouvé une fiancée pour mon maître !

Ce cri de triomphe frappa l’oreille du capitaine Lumsden, qui, ayant suivi sa fille sans qu’elle s’en doutât, au risque de s’exposer à de nouvelles convulsions, se tenait caché au dernier rang de la foule. L’exiguïté de sa taille l’empêchait de voir Patty, placée près de la chaire, mais les chuchotemens qui couraient dans la foule l’avertirent qu’elle était l’objet de l’émotion qui venait de se produire. Avec un blasphème terrible, il s’avança, jurant qu’il allait emmener cette folle et lui apprendre à se conduire ! — Elle