Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/844

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouveaux emprunts, contractés à 25 et à 30 pour 100. Tous les fonctionnaires et les officiers eux-mêmes subissent dans le paiement de leurs traitemens des retards ordinaires de sept à huit mois, quelquefois d’un an et de deux. Une telle situation peut attester l’autorité du gouvernement sur la nation ; mais il paraît difficile qu’elle puisse se prolonger longtemps.

L’instruction est si peu répandue parmi les musulmans, même dans la classe élevée, que les progrès accomplis ailleurs dans l’agriculture, l’industrie et les arts restent inconnus ou incompris. Par dédain ou par ignorance, ce qui revient souvent au même, le Turc laisse le raïa s’enrichir sous ses yeux, à ses dépens, et ne se réserve pour lui-même d’autres moyens de fortune que les fonctions publiques ou la munificence du sultan. L’état de l’enseignement en Turquie suffirait à expliquer la faiblesse et l’infériorité de la population turque relativement aux populations voisines et aux nationalités qui vivent au milieu d’elle ; si l’on ne commence pas par instruire les masses, aucune réforme ne pourra aboutir, aucun effort ne parviendra à féconder ce sol en friche, et il est à craindre que l’empire ne se décompose sous l’influence d’agens divers.

Le gouvernement français a fait plus d’une tentative pour arracher le peuple turc à l’engourdissement dans lequel il se trouve plongé ; une des plus sérieuses et peut-être des moins connues avait pour but de constituer l’enseignement public sur des bases solides et de provoquer la création de lycées impériaux dans les principales villes. Cette étude montrera qu’une telle entreprise pouvait réussir et que le succès dépendait de la Porte ; elle était suggérée par un amour sincère du pays et présentait peut-être une dernière ancre de salut.


I.

Il n’existe en Turquie aucune école pour les jeunes musulmanes : on a pensé sans doute que la vie du harem, qui les attend, leur rend toute instruction inutile ; quelques filles de pachas, en petit nombre et depuis peu d’années, apprennent la musique et une langue étrangère ; cela leur suffit. Au reste, l’intérieur de la famille turque est tellement muré qu’on ignore presque toujours ce qui s’y passe, et la plupart des descriptions qui en ont été données ne sont que des tableaux de fantaisie. La femme turque, étrangère à tout travail sérieux, vit dans son harem occupée de futilités lorsqu’elle ne donne pas à ses enfans les soins nécessaires ; elle ne sort qu’accompagnée de ses esclaves et de ses eunuques et revêtue du costume ancien, qui ne manque ni d’originalité, ni même de poésie ;