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Quelle que soit la valeur de l’Enfance de Télèphe, il faut admirer plus encore une figure de femme, de grandeur naturelle, qui se trouve dans la même salle. Habillée d’un vêtement de dessus pourpre et d’une de ces longues tuniques à manches portées dans les colonies romaines de l’Afrique, elle est debout sur une terrasse qui peut-être domine la mer. Ses bras tombent le long de son corps, et ses mains, qui se rejoignent et se croisent au-dessous de la ceinture, tiennent par la poignée un glaive dans son fourreau. Cette attitude, qui dans son abandon conserve encore tant de noblesse, et ce visage, d’une si pure beauté et d’une si vive expression de douleur, sont d’une impression indicible. C’est beau et grand comme certaines figures drapées de l’école de Phidias. On croit que le peintre a voulu représenter Didon après le départ d’Énée ou Médée après la trahison de Jason. Peut-être aussi est-ce une Phèdre. Dans l’antiquité, le type de Werther n’existe pas ; c’est la femme qui joue le rôle des désespérés d’amour.

Le Centaure Chiron apprenant à Achille à jouer de la lyre est une des œuvres les plus parfaites du musée. Le centaure, monstrueux, le torse à demi couvert d’une peau de bête, entoure de ses énormes bras le corps divin d’Achille adolescent. Il lui montre sur la cithare les cordes qu’il doit toucher. Achille est nu, vêtu seulement d’une légère chlamyde attachée à l’épaule par une agrafe d’or et flottant sur le dos. Qu’on se rappelle le mouvement et la pose de la chlamyde de l’Apollon du Belvédère. La tête fière d’Achille, toute ceinte d’un flot de cheveux bruns et frisés qui font ressortir la pâleur ivoirine de la peau, a le charme et la noblesse. Le corps, dont les formes sont choisies, les contours purs, le modelé moelleux, est élégant et élancé, mais sans gracilité. La tonalité générale est ambrée. Ce qui fait l’originalité de cette composition, bien liée et se tenant comme un groupe de marbre, c’est l’opposition du corps frêle d’Achille et du torse massif du centaure. Chiron est certes trois fois plus grand et quatre fois plus gros que son élève. Or l’éclat, le relief et les proportions accomplies du corps de l’Achille font que dans le tableau on ne voit que lui. Le Chiron, placé presque dans la pénombre, tandis que l’Achille apparaît en pleine lumière, est sacrifié, de même que dans un beau portrait équestre le cheval doit par quelque savant artifice être sacrifié au cavalier.

Non loin de l’Achille et Chiron, un simple fragment, une tête de femme très largement peinte, attire le regard. Comme il n’y a pas de parti-pris d’ombre et de lumière et que les demi-teintes se confondent au lieu de se fondre, le modelé manque, et la face paraît plate ; mais les traits sont admirablement dessinés, et les cheveux bouclés jetés comme en se jouant.