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sortent. Si dans une réunion publique on leur dit que leur sort va changer, ils le croient : il faut leur apprendre la différence du tien et du mien[1]. »


III

Nous passons ainsi rapidement, et en abrégeant peut-être plus qu’il ne conviendrait, aux conclusions du livre ; mais il faut laisser quelque chose à faire au lecteur. L’auteur, comme nous l’avons déjà dit, rattache la sociologie à la biologie[2], l’étude des corps politiques à celle des corps organisés. Ce n’est pas seulement au figuré et par métaphore qu’il emploie l’expression d’organisme social, qu’il parle des membres de cet organisme, de ses fonctions ; c’est au propre. Il ne voit dans le corps social qu’une extension des phénomènes du corps vivant. On sait en effet que la forme élémentaire de la vie dans les animaux inférieurs ou dans les plantes est le polyzoïsme, c’est-à-dire l’agrégation de plusieurs individus sur un tronc commun. Le polype, les vers intestinaux, sont des exemples de ces soudures, qui les ont fait comparer à des colonies. Peu à peu, à mesure que la vie s’agrandit, s’enrichit, se développe, l’individu se sépare et prend une vie propre. Ici, un nouveau mouvement se produit : les parties d’abord plus ou moins indépendantes deviennent bientôt de plus en plus étroitement associées et, tout en prenant chacune des fonctions propres et distinctes, se coordonnent de plus en plus autour d’un centre commun. Ainsi le progrès de la centralisation animale est en proportion même du progrès « de la division de travail » dans des organes distincts, — loi qui, pour le dire en passant, devrait rendre l’auteur plus favorable au progrès de la concentration dans les corps politiques, puisqu’il est établi par la zoologie que cette concentration, bien loin de nuire à la distinction et à l’originalité des fonctions propres de chaque partie, en est au contraire la condition et y correspond par une loi proportionnelle. Or, suivant M. Spencer, les corps politiques ne sont autre chose que la résultante de ce développement biologique. Les mêmes phénomènes qui se produisent dans l’ordre biologique ou zoologique se reproduiront dans l’ordre sociologique. Ainsi la division du travail en économie politique est non pas métaphoriquement, mais en propre le même phénomène que la division du travail en physiologie. La distinction entre la tête et les membres dans le corps

  1. Enquête du 18 mars, t. II, p. 544, déposition de M. Héligon.
  2. Cette idée, l’auteur le reconnaît, appartient en propre à Auguste Comte ; mais il se propose de la développer : c’est ce qu’il fera sans doute dans son Traité de sociologie.