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Neuve ; mais faut-il en conclure que là, comme partout ailleurs, les maladies n’ont pas leur cours ? En outre, les accidens sont fréquens à la pêche ; il en est qui, soignés au début, seraient sans importance, et qui s’aggravent au point d’entraîner la perte d’un membre faute des précautions les plus élémentaires. Sur certains points de la côte où 300 hommes sont parfois réunis, on ne trouve pas un médecin. Aussi voit-on souvent se présenter à bord des navires de guerre des matelots qu’il faut amputer sur l’heure et qui la veille pêchaient encore dans leurs bateaux !

Les rapports des officiers qui se succèdent à Terre-Neuve s’accordent tous à reconnaître depuis plusieurs années que la pêche française est en pleine voie de décadence, et constatent les empiétemens toujours croissans des pêcheurs anglais sur notre côte réservée. On est porté tout d’abord à rechercher la cause de l’immobilité qui frappe notre industrie dans le développement progressif de la concurrence étrangère. Après avoir séjourné sur les lieux, on arrive à se convaincre que, si la pêche française est en souffrance, elle le doit surtout aux institutions qui lui sont propres. Quant à la concurrence anglaise, c’est au principe de nos droits qu’elle s’attaque : jusqu’à ce jour, elle n’en a pas affaibli l’exercice ; elle a des visées plus hautes, et ne tend à rien moins qu’à les faire disparaître. Comment admettre que soixante ou quatre-vingts navires, répartis sur une étendue de 200 lieues de côtes, où le poisson se trouve en abondance, aient été sérieusement gênés par une concurrence réelle, il est vrai, mais bien faible encore ? Notre côte réservée pourrait occuper de quatre cents à cinq cents navires ; en 1850, elle en recevait environ trois cents ; c’était une concurrence plus importante que celle des goëlettes anglaises, et cependant les armateurs n’en faisaient pas moins leurs affaires. Enfin le meilleur et le plus sûr moyen de s’opposer à la pêche concurrente n’était-il pas d’exploiter complètement le rivage dont nous avions la jouissance, en donnant à cette exploitation tout le développement qu’elle comporte ? Pourquoi donc ne l’avons-nous pas fait ? L’institution des primes d’encouragement, la concession des places, le règlement établi sur la manière de les exploiter, la prohibition de certains engins de pêche bien connus des Anglais, ont créé dans les mains de quelques armateurs, seuls assez riches pour faire face aux déboursés que comportent les armemens, un monopole presque absolu et peu favorable au progrès de notre industrie. Il est devenu difficile à toute entreprise qui n’a pas encore l’appui du capital de réussir à Terre-Neuve. Examinons en effet ce qui se passe à la côte est. Aux termes du décret de 1852, portant règlement sur l’occupation des havres, on entend par occuper une place « y déposer le nombre d’hommes d’équipage voulu par la série à laquelle le navire appar-