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regard singulièrement calme, puissant, profond, scrutateur et impénétrable, — le sang-froid et la possession de lui-même, qui ne l’abandonnaient qu’à bon escient, — une promptitude extrême d’intelligence, un verbe net et décisif, — le don sans prix de l’autorité personnelle, ce signe mystérieux qui partout désigne le maître, — tout en lui réclamait la domination et semblait n’avoir pour cadre naturel que le premier rang. Il s’y établit par des voies suspectes, il l’occupa arrogamment, avec rapacité, avec violence ; au fond, chacun l’y reconnaissait à sa place. Pour la première fois depuis l’avènement d’Henri III, on sentait qu’on avait affaire à une volonté énergique, à un esprit sagace et ferme. Nul n’a soulevé des haines plus furieuses, un tel déchaînement de malédictions contre sa faveur, — mais jamais, remarquez-le, il n’en parut indigne, jamais l’envie ne se vengea par le mépris, jamais il n’eut à essuyer en face les dédains de ses adversaires les plus qualifiés. Le fait est significatif, car les siens n’épargnaient personne, ni le frère du roi, héritier du trône, qui lui céda la place et déserta la cour, ni la reine-mère, arbitre et idole du Louvre depuis un quart de siècle, qui cessa d’y paraître dès 1586[1] et n’y rentra qu’avec Guise le jour des barricades, ni même ces fiers Lorrains que le témoignage de Busbecq, peu enclin à la partialité à l’endroit du favori, nous montre lui parlant tête nue[2]. La liste est longue des avanies qu’il fit subir autour de lui, et à la Montpensier raillée sur sa jambe, et à la duchesse de Nevers raillée sur sa bosse, et à l’archevêque de Lyon, d’Épinac, flétri dans ses mœurs par la plus mordante épigramme, et à Villeroy, traité de petit coquin et menacé de cent coups d’éperon, et au maréchal de Matignon, bafoué en toute occasion, et qui, dit Brantôme, « beuvait cela doux comme lait, » et à bien d’autres. En revanche, personne ne s’est rencontré pour lui rendre affront pour insulte et lui jeter à la figure ce mot de petit compagnon, qui l’eût peut-être déconcerté. Consultez les mémoires et les correspondances qui tiennent registre des menus incidens quotidiens, les dépêches vénitiennes, Busbecq, L’Estoile, Pasquier, Brantôme ; vous y trouverez ses algarades, jamais leur châtiment. Parcourez les pamphlets atroces où s’exhalent avec rage contre lui les imputations les plus infamantes, bassesse d’extraction, vices honteux, lâcheté, cruautés, sortilèges, sacrilèges, souillures de toute sorte : là encore nulle mention n’apparaît de déboires infligés à sa morgue ; il est bien clair pourtant que ces libelles en feraient trophée. Ne dites pas que telle est l’ordinaire servilité des cours devant la toute-puissance. Longtemps après la fin du mignon, alors qu’en fait une

  1. Voyez Miron, Relation de la mort du duc de Guise, édit. Petitot, t. XLVII.
  2. Lettre du 25 avril 1585.