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crédit. Ambitieux, il l’était certes jusqu’à la fureur, — non pas cependant jusqu’à mériter le stigmate de Tacite : omnia serviliter pro dominatione. Il faut lui savoir gré de n’avoir jamais rien eu du courtisan. Concini est mort sans avoir eu la satisfaction de faire courber ce front superbe. Pour la première fois depuis sa propre faveur, d’Épernon voyait un favori, car les vingt et un ans du règne d’Henri IV avaient épargné ce fléau à la France. Il est à croire qu’il ne se reconnut en rien dans un tel successeur, puisqu’il trouva en lui a un petit monstre fort hideux, » comme dit La Fontaine. Luynes d’ailleurs ne lui agréa pas davantage, quand il le vit sur le pavois quelques années plus tard ; d’où l’on peut conclure qu’il en est des favoris comme des autres grandeurs déchues qui goûtent rarement leurs héritiers. A tout prendre, cette période de sept ans, également dégradante pour la royauté et pour ses adversaires, à laquelle on peut appliquer ce que dit d’Aubigné des conférences de la paix de Loudun, que ce fut une foire publique d’une générale lascheté, d’une particulière infidélité, cette triste régence qui a été le naufrage de toutes les renommées du règne précédent, qui a mis à nu, outre la turpitude des grands, un si déplorable défaut ou d’indépendance, ou de droiture ou même de sens politique chez Sully, Villeroy et même Jeannin, n’a laissé intact, parlons plus juste, n’a grandi en dehors de Du Plessis-Mornay et de Rohan, que le seul caractère de d’Épernon. Il n’a eu garde dans ce laps de temps de ne pas braver insolemment les lois, de ne pas faire du despotisme à outrance, de ne pas travailler de toutes ses forces au renversement de l’œuvre nationale d’Henri IV, en ce qui concerne notamment l’édit de Nantes et le système d’alliances au dehors : qui songerait à s’en étonner ? mais il sut être loyal, dévoué et sans bassesse ; Il suffit à sa gloire qu’on n’en puisse dire autant d’aucun de ses compétiteurs.

Assistons-nous ici à une transformation de l’homme ? devant tant de cupidité et de perfidie, y a-t-il eu chez lui révolte du sens moral ? En aucune façon. D’Épernon a gardé toutes ses âpres passions ; seulement l’une d’elles a pris le pas sur les autres, et il s’agit, par fortune, de celle que ne flétrit pas la conscience, du vice qui a parfois accompli le bien. L’orgueil l’emporte désormais, même sur l’ambition, cette autre tyrannie de son âme. Il n’en faut pas davantage pour que vous le voyiez sacrifier l’intérêt à l’honneur. L’honneur va devenir le but et comme la visée suprême de cette existence avide de gloire, jalouse de se faire une place à part et au-dessus de toute rivalité. D’Épernon avait bien jugé ses contemporains : dans cette voie, il n’avait guère d’émules à redouter, et les défaites de l’ambition pouvaient trouver là de nobles revanches. Telle est sûrement l’explication de ses généreux procédés avec Marie de Médicis. D’attachement sincère, il n’en existait pas entre eux. Froide, égoïste,