Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvenirs à une pareille heure ne ressemblait pas à un désaveu du vote par lequel on venait de sanctionner la dernière de ces révolutions en prononçant la déchéance définitive de l’empire ! De fort honnêtes gens, arrivant de leur province à Bordeaux, avaient l’air de ne voir dans Paris qu’un grand Belleville et dans le siège que le 31 octobre. Ils se croyaient de profonds politiques en refusant de revenir à Paris, — « le chef-lieu de la révolte organisée, » — en se mettant à la recherche d’une autre capitale, et, sans le vouloir peut-être, ils avaient des mots blessans, que la passion exagérait ou dénaturait, qui allaient retentir dans la malheureuse ville comme des déclarations d’hostilité. On ne voyait pas assez que, si Paris pouvait d’un instant à l’autre devenir un grand révolté, il était aussi et avant tout un malade, et qu’il fallait procéder avec lui comme avec un malade, comme avec un glorieux égaré, si l’on veut, en mettant de la sympathie dans la fermeté pour le sauver. Agir autrement, c’était ajouter aux difficultés par une disposition morale peu faite pour préparer une solution.

Premier danger ! De plus le gouvernement qui venait de naître, qui existait désormais, se trouvait lui-même dans des conditions assez fausses pour aborder ce grand problème de la pacification parisienne. Assurément M. Thiers, avec sa sagacité supérieure, en avait vu assez pour démêler le bien et le mal dans cette vaste confusion de Paris, et il avait assez d’instinct pour deviner ce qu’il ne pouvait savoir qu’incomplètement. Sans vouloir sacrifier la France à une capitale, sans méconnaître les périls de sédition qui éclataient à tous les yeux, il sentait la nécessité, la convenance de ménager, d’honorer la ville du siège et, par une délicate attention, sans attendre d’avoir à choisir entre les vingt-six départemens qui l’avaient élu, il se hâtait personnellement d’opter pour Paris. M. Thiers comprenait surtout que de Bordeaux on ne pouvait rien. Bordeaux, si grand et si hospitalier qu’il fût, n’était pas le marché universel des capitaux. Ce n’était pas de Bordeaux qu’on pouvait poursuivre des négociations financières, traiter les mille questions diplomatiques qui s’élevaient à chaque instant au sujet de l’exécution de la paix, réorganiser des forces militaires. Au fond, M. Thiers aurait voulu ramener au plus tôt parlement et gouvernement à leur vraie place. Il était parti avec cette pensée le 27 février en emportant les tristes préliminaires dont il allait demander la ratification ; mais M. Thiers n’était que le délégué de l’assemblée, il devait rester auprès d’elle. Il pouvait tout au plus essayer de la diriger, la conseiller, et ce n’est pas sans peine, ce n’est pas sans bien des efforts, sans des merveilles de raison politique et d’éloquence, qu’il finissait par obtenir qu’on reviendrait non à Orléans ou à Fontainebleau, comme