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Allemagne ! » M. de Bismarck pouvait se permettre cette plaisanterie teutonne. En réalité, avec son esprit pratique, le chancelier allemand sentait bien que favoriser la guerre civile en France, c’était retarder le paiement de l’indemnité des cinq milliards, et qu’à trop se hâter de prendre un rôle direct dans nos affaires il risquait d’assumer une lourde responsabilité ; mais M. de Bismarck était un homme de précaution décidé à ne renoncer à aucun de ses moyens, et il paraît certain que, surpris par l’explosion du 18 mars, doutant de « l’exécution des conventions par la suite, » il avait fait aussitôt sonder Napoléon III ; il cherchait à savoir si l’empereur accepterait de rentrer en signant la paix que l’Allemagne l’aiderait naturellement à maintenir. A défaut de cette combinaison, qui ne réussissait pas, M. de Bismark entendait bien garder tous ses avantages vis-à-vis du gouvernement de Versailles qui se voyait contraint de s’adresser à lui dès le premier jour. Voilà la situation qu’avait créée le fatal déchirement du 18 mars !

Ce malheureux gouvernement, le chancelier prussien le tenait par la difficulté qu’il éprouvait à remplir ses premiers engagemens pécuniaires, par le besoin qu’on avait à Versailles de retrouver les soldats prisonniers, par la nécessité d’augmenter les forces militaires pour réduire Paris, par la négociation de la paix définitive, par des menaces incessantes d’intervention si on n’en finissait pas. Ces premiers jours ne laissaient pas d’être pleins d’orages secrets ; on échangeait des communications acerbes. M. de Bismarck en venait bientôt cependant à s’adoucir avec le gouvernement de Versailles. Il ne lui refusait plus la faculté de développer ses forces militaires, de dépasser le chiffre de 40,000 hommes fixé par les préliminaires pour la garnison de Paris et des environs. Il autorisait le commandant en chef de l’occupation allemande, le général de Fabrice, à signer le 28 mars une convention nouvelle permettant au gouvernement français de porter l’armée de Versailles à 80,000 hommes. Le rapatriement des prisonniers, momentanément suspendu, allait recommencer. Ces concessions toutefois, M. de Bismarck se réservait de les révoquer ou de les neutraliser, selon les circonstances, en restant seul juge de l’obligation de rendre les prisonniers. « La mesure dans laquelle nous remplirons cette obligation, disait-il, dépendra de la manière dont nous apprécierons la situation. » Rien n’était certes plus élastique, et de fait le cabinet de Berlin en agissait à sa guise. On aurait eu besoin de vieux soldats, il renvoyait des mobiles dont on ne pouvait se servir. A la moindre difficulté, au premier nuage, le rapatriement était de nouveau suspendu, par mer comme par terre, par Cherbourg comme par Charleville ou Lunéville. Vers la mi-avril, il s’arrêtait tout à coup pendant plusieurs jours ; on ne recevait plus un prisonnier. Berlin faisait sentir