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me défendre de l’impression que le gouvernement français semblerait nourrir l’espérance d’obtenir plus tard, alors qu’il aura repris des forces, d’autres conditions qu’à présent. A des tentatives d’affaiblir les conditions fixées par les préliminaires de paix, nous ne céderons jamais d’aucune manière. » M. de Bismarck en effet croyait ou affectait de croire que telle était la pensée du gouvernement français, que M. Thiers ne voulait que gagner du temps pour rentrer dans la négociation, appuyé sur une armée reconstituée et sur Paris pacifié. Il avait ou il affectait d’avoir des inquiétudes sur « la bonne volonté ou le pouvoir qu’on aurait en France d’exécuter définitivement toutes les dispositions préliminaires. » Il se montrait vraiment plein de craintes aussi vives qu’intéressées sur la sécurité de l’Allemagne, qu’il ne voulait pas laisser exposée aux inconvéniens d’une reprise soudaine d’hostilités. Toujours est-il que, procédant à sa façon, comme s’il avait besoin d’assurances nouvelles, M. de Bismarck sommait brusquement le cabinet de Versailles de s’expliquer sur ses intentions, en le menaçant, s’il ne se décidait pas à signer la paix définitive, d’occuper lui-même Paris et d’exiger le retour de l’armée française derrière la Loire, conformément aux préliminaires du 26 février.

C’était une tactique de la force. Au fond, M. de Bismarck voulait en finir avant la défaite de la commune, et pour en finir plus vite, pour mieux assurer le succès de son plan, il proposait de se rendre à Francfort, de transporter dans la ville allemande la négociation qui traînait à Bruxelles. Ce fut peut-être le premier froissement intime entre le plénipotentiaire allemand, M. d’Arnim, et le chancelier de Berlin. Que pouvait de son côté faire M. Thiers ? Il n’acceptait pas précisément l’invitation que lui adressait M. de Bismarck de se rencontrer avec lui. Il envoyait à sa place, avec les négociateurs de Bruxelles, M. Jules Favre et le ministre des finances, M. Pouyer-Quertier, dont la diplomatie, à ce qu’il paraît, était fort du goût du chancelier. Obligé d’éviter à tout prix des difficultés extérieures en ce moment, aux derniers jours d’avril et aux premiers jours de mai, pressé par l’Allemagne, M. Thiers ne pouvait songer dans sa situation à éluder entièrement les conditions onéreuses qu’on prétendait lui imposer ; il s’efforçait du moins d’étendre le rayon militaire de Belfort, de cette place de l’est qu’il avait sauvée comme une dernière garantie d’indépendance, et cette concession précieuse il ne l’obtenait encore qu’en la payant d’une autre concession territoriale faite à l’Allemagne en Lorraine, du côté de la frontière du Luxembourg. C’était là le traité définitif de Francfort, œuvre nécessaire, qui contenait quelques aggravations des préliminaires, surtout pour l’occupation, qui offrait aussi cette compensation du territoire de Belfort, et qui en fin de compte, avec ses duretés