Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naissant de luttes intimes. Jacobins, sectaires de l’Internationale, révolutionnaires de toutes couleurs, se défiaient, se querellaient, s’emprisonnaient mutuellement quelquefois, et se disputaient un pouvoir qu’ils ne savaient pas même exercer. Scission au sein de la commune, scission entre la commune et le comité central, qui, au lieu de se dissoudre après les élections, s’était maintenu, prétendant rester le gardien privilégié de la révolution du 18 mars. Politiquement, ce n’était qu’un vaste chaos où s’agitaient toutes les passions serviles, toutes les convoitises, toutes les impuissances vaniteuses et irritées. Militairement, l’insurrection aurait pu certes devenir redoutable. Protégée directement ou indirectement par l’occupation allemande, qui couvrait tout un côté de Paris, maîtresse des forts du sud, disposant d’une quantité presque illimitée d’artillerie, elle avait de plus un personnel nombreux qui suivait son drapeau par fanatisme, par entraînement, par habitude d’obéir à des ordres, ou même par nécessité pour vivre de la solde. Officiellement, la garde nationale plus ou moins ralliée comptait une partie active de 80,000 hommes, une partie sédentaire de 100,000 hommes. N’eût-on pu disposer que de 50,000 ou de 60,000 combattans, c’était encore beaucoup ; mais l’action militaire se ressentait nécessairement de la situation morale et politique. Née de l’anarchie, l’insurrection ne pouvait vivre que par l’anarchie et par l’indiscipline. Sur un bataillon commandé, 300 hommes se rendaient à l’appel. Un certain entrain ne manquait pas dans le combat ; mais les débandades étaient promptes. Ces soldats de l’émeute ne tenaient guère qu’à l’abri des murs et des forts.

En réalité, les affaires militaires de la commune n’étaient un peu sérieusement conduites que par deux hommes, Cluseret et Rossel. Ambitieux implacable, doué d’une certaine vigueur et d’une physionomie accentuée, ayant aux yeux des masses le prestige d’un ancien officier de l’armée qui avait été quelque peu général en Amérique, aventurier singulièrement suspect, Cluseret avait pris la direction de la guerre au lendemain de la défaite des tristes généraux Bergeret, Eudes et Duval. C’est par lui que la défense prenait une certaine figure, et, chose caractéristique, ce jour-là l’action militaire passait aux mains des étrangers comme pour mieux imprimer le sceau cosmopolite à une révolution prétendue parisienne. On avait appelé vainement Garibaldi. Maintenant un Polonais, Dombrowski, était chargé de défendre la ligne de Neuilly. Sur la rive gauche, c’étaient encore les étrangers, un autre Polonais, Wroblewski, un Italien, La Cecilia. Ce que fit Cluseret comme organisateur importe peu. Il ne tardait point à passer de la délégation à la guerre dans une prison. Rossel, lui, était un capitaine du génie,