Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communes, paraît-il, jusqu’au règne de Fouhi, en Grèce jusqu’à l’époque de Cécrops. De nos jours, un pareil état social ou du moins quelque chose d’analogue se rencontre chez beaucoup de tribus de l’Inde, de l’Amérique, de l’Océanie. La nomenclature inventée par quelques peuples pour désigner les rapports de parenté est toute une révélation à cet égard. M. Morgan a réuni en tableaux les systèmes de parenté de 139 races ou tribus. Ces systèmes se divisent, selon lui, en deux catégories : le système « descriptif, » qui est celui des races aryennes, sémitiques, ouraliennes, et qui désigne les collatéraux par une combinaison des termes primitifs (mari et femme, père et fils, frère et sœur, etc.), et le système par « classification, » celui des races touraniennes, américaines et malaises, qui réduit la consanguinité à de grandes classes par une série de générations, appliquant les mêmes termes à tous les membres d’une génération. M. Morgan veut même conclure de l’existence de l’un ou de l’autre de ces systèmes à des affinités ethnologiques. M. Lubbock pense avec raison que l’opposition entre les deux systèmes n’est pas absolue, et qu’il existe manifestement des phases intermédiaires, des systèmes de transition qui prouvent que le système descriptif est le terme final d’évolution du système classificatoire ; mais dans tous les cas l’étude de ces nomenclatures jette beaucoup de jour sur la constitution de la famille chez les diverses nations. Les termes employés par les indigènes des îles Sandwich prouvent que l’idée du mariage n’entre point dans leur système de parenté. Oncles, tantes, cousins, sont passés sous silence ; on n’y trouve que grands-parens, — pères et mères, — frères et sœurs, — enfans et petits-enfans. Tous les consanguins sont classés d’après ces cinq couches de générations, et chaque individu se rattache par le même lien à tous les membres d’une classe : il est essentiellement parent du groupe. Ainsi l’enfant appelle pères et mères les frères, les sœurs, les cousins de son père et de sa mère ; tous les membres d’une classe sont entre eux frères et sœurs, etc.

Certaines cérémonies, certains usages révoltans dont parlent les anciens auteurs ou qu’on retrouve encore chez quelques peuples, prouvent aussi que le mariage était considéré comme une infraction aux droits de tous, — le mariage c’est le vol, — et qu’une compensation était due à la communauté. Les vierges, avant d’appartenir à un mari, étaient tributaires de la foule. De là les étranges coutumes dont parlent Hérodote et Diodore, coutumes qui existaient à Babylone, à Carthage, dans quelques parties de la Grèce, aux Baléares, chez des tribus éthiopiennes ; de là aussi la haute considération dont jouissaient les hétaïres, dont jouissent encore les bayadères ; de là enfin la prostitution sacrée dans les temples de Vénus, de Mylitta, d’Aschera.

Comment l’humanité est-elle sortie de cet état primitif d’hétairisme universel ? C’est ici que les divergences s’accusent. M. Bachofen cherche dans une réaction de la femme contre la brutale promiscuité primitive