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l’origine d’une réforme qui aurait fait passer le sceptre des mains du sexe fort dans celles du sexe faible. Interrogeant tour à tour les mythes, l’histoire, les religions, le droit, les récits de voyageurs et les monumens de l’art, il trouve partout les vestiges d’un ordre social fondé sur la suprématie de la femme. C’est l’époque de la gynécocratie, le règne de la mère, le triomphe du droit du plus faible. L’homme occupe dans la famille le second rang, c’est la femme qui fait souche, qui transmet son nom aux enfans. La descendance s’établit dans la ligne féminine, — usage qui existe encore chez beaucoup de peuples sauvages. Plus tard l’élément tout spirituel de la paternité l’emporte sur l’idée plus matérielle du sein de la mère : le père est l’auteur de la vie, la mère n’est plus qu’une nourrice. Le culte du soleil remplace celui de la lune, l’homme prend le pas sur la femme, la propriété et la filiation passent à la ligne masculine, et l’organisation sociale se ressent de cette révolution dans les idées.

Au-dessous de la couche mythologique des dieux grecs, M. Bachofen découvre pour ainsi dire une religion fossile, un cycle de mythes où une déesse, une Mère, Déméter, règne sur la nature ; le dieu n’y paraît qu’au second plan, et l’homme est subordonné à la femme. Hésiode fait de la mère le centre de la société dans l’âge d’argent, quand les hommes commencent à se fixer sur le sol. « En raison des bienfaits d’Isis, dit Hérodote, la reine jouissait chez les Égyptiens d’une puissance supérieure à celle du roi, et la femme obtenait le pouvoir sur son mari. » Les inscriptions hiéroglyphiques des momies portent d’abord le nom de la mère sans indication du mari, et les actes publics ne mentionnent le plus souvent que la mère. Ce n’est qu’à dater des établissemens grecs que la mention seule du père commence à s’introduire. À cette période correspond le prestige qui entoure la femme dans la Grèce antique jusqu’au règne de Cécrops. Sous ce règne, dit Varron, les femmes d’Athènes perdirent leurs droits civils à la suite d’un vote populaire où elles s’étaient prononcées contre le gré des hommes ; pour les punir, on décide qu’elles n’auront plus le droit de voter, que les enfans ne porteront plus le nom maternel, qu’elles-mêmes, au lieu d’être citoyennes d’Athènes, ne seront plus que les épouses des Athéniens. Il y a donc eu une époque de transition, où des conflits s’élèvent souvent entre le droit des hommes et l’antique droit des femmes. A la gynécocratie succède le régime patriarcal, mais le père et le mari ne doivent leur puissance qu’à un droit de conquête. Dans le jugement d’Oreste, Eschyle semble annoncer le triomphe d’un droit nouveau sur l’ancienne loi : l’Érinnys se plaint amèrement de voir acquitté un fils qui a tué sa mère.

L’antiquité a conservé le souvenir des royaumes de femmes. Les historiens chinois en mentionnent plusieurs, et leurs récits se rattachent à la légende des Amazones, qui reparaît dans les traditions de tous les peuples classiques. L’Asie-Mineure et la Libye ont été le théâtre