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méfiances, entourèrent au début la monarchie rajeunie de juillet et la monarchie belge naissante, notre pays a le droit même aujourd’hui de contempler avec un légitime orgueil une nation qu’il a aidée à conquérir son indépendance et dont il n’a cessé de protéger les droits tant qu’il est resté maître de sa politique extérieure. Arbitres de l’Europe et redoutés, cette fierté nous siérait peut-être mal : aujourd’hui elle console nos malheurs, et nous pouvons jeter les yeux avec satisfaction sur nos frontières du nord, inviolées et aussi bien défendues par la neutralité belge que par l’admirable réseau de forteresses de Vauban. Quelque heureuse et généreuse qu’ait été la part qui revient au gouvernement du roi Louis-Philippe dans les événemens qui ont permis à la Belgique de prendre rang parmi les nations, il est juste de rendre hommage au patriotisme, à la sagesse courageuse de la nation belge, à l’esprit politique de ceux qui l’ont fait sortir de la révolution pour la faire rentrer dans le concert européen. Si l’on veut bien jeter les yeux en arrière, le souvenir de ce qu’était encore l’Europe en 1830, des passions qui l’agitaient, des longs ressentimens que la défaite de Napoléon n’avait pu entièrement calmer, l’on devra confesser que la fondation de la monarchie belge fut une sorte de miracle politique.

La grandeur d’un pays ne se mesure pas toujours à la longueur de ses frontières. La petite Hollande fut un moment le centre et comme le nœud de toute la politique européenne. Son histoire remplit la fin du XVe et une grande partie du XVIe siècle. Il arrive d’ordinaire qu’au moment où la fortune appelle ainsi une nation dans la pleine lumière et sur le devant de la scène, elle lui donne une famille, une race qui incarne les intérêts, les besoins, les espérances populaires. On ne peut songer à la Hollande sans penser à Guillaume le Taciturne, à Maurice de Nassau, au prince Frédéric, à Guillaume III. Ce qu’a été la maison de Nassau pour les Pays-Bas néerlandais, la maison de Cobourg, dans des circonstances bien différentes, l’est devenue pour les Pays-Bas belges. Le nouveau royaume était formé de provinces que le sort avait livrées successivement aux ducs de Bourgogne, à l’Espagne, à l’Autriche, à la France républicaine et impériale : après avoir servi de champ de bataille pendant des siècles, il était désormais neutralisé. La Belgique n’avait pas besoin de grands hommes de guerre ; il lui fallait une dynastie pacifique et politique, liée par des alliances aux grandes familles souveraines, servant d’arbitre aux partis qui se disputaient le pouvoir, de trait d’union entre les cours, de modèle aux monarchies constitutionnelles.

Ce n’était pas encore assez : ni les traités, ni les rois n’auraient pu faire vivre la Belgique, si elle n’avait trouvé, au moment où elle se déclarait libre, quelques hommes supérieurs prêts à servir la