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Weyer. « Eh bien ! dit-elle familièrement, comment va Léopold ? — Léopold, madame ? vous voulez dire sans doute le roi des Belges ? — Le roi des Belges ! J’ai entendu parler des Allemands, des Français, des Italiens ; je n’ai jamais entendu parler des Belges. — Madame a-t-elle ouï parler d’un ancien nommé Jules César ? — Oui, mais à quoi bon cette question ? — Madame sait-elle que ce Jules César a écrit un livre qui se nomme les Commentaires ? — Sans doute. — Eh bien ! madame, vous pourrez, quand il vous conviendra, lire à la première page de ce livre que les Belges sont un des trois peuples de la Gaule, et César ajoute : « Les Belges sont les plus vaillans de ces peuples, parce qu’ils sont continuellement en guerre avec les Germains. » Cette réputation, madame, ils l’ont toujours conservée, et ils espèrent la conserver toujours. » — Lady Holland se tint pour satisfaite, et van de Weyer devint à partir de ce jour un hôte favori de Holland-House.

Des périls sérieux menaçaient encore la Belgique. Le roi de Hollande défendait toujours avec une indomptable ténacité les droits qu’il tenait des traités de 1815 ; il n’était pas d’humeur à voir s’élever une souveraineté nouvelle en face de la sienne. Le roi, qui avait été jusqu’à s’écrier quand on parlait de donner la Belgique au prince d’Orange : « J’aimerais mieux voir Potter sur le trône, » ne pouvait voir sans colère un Cobourg régner à Bruxelles en nouveau Taciturne que le stathoudérat ne pouvait contenter. Il prit le parti de pousser ses régimens à travers les panneaux de la diplomatie européenne et de courir les chances d’une lutte armée. A peine Léopold était-il arrivé à Bruxelles, Guillaume rompit l’armistice : il avait adhéré aux premiers protocoles de la conférence, mais il déclara que les dix-huit articles avaient mis ces protocoles à néant. L’armée hollandaise avança en trois corps de Maëstricht à Breda. Les Belges n’avaient que deux petites armées. Le roi Léopold alla en hâte, le 8 août, à Arschot prendre le commandement de l’armée de l’Escaut. il y attendit l’armée de la Meuse : celle-ci, surprise sur la route de Hasselt à Tongres, se replia en désordre. Le roi lui-même dut reculer au-delà de Louvain, où les Hollandais entrèrent après lui. Léopold s’était hâté de demander des secours à la France ; le maréchal Gérard était entré en Belgique : le roi Guillaume donna à regret à ses troupes l’ordre de reculer au lendemain de leurs faciles succès.

On vit alors le plus singulier spectacle : la conférence n’eut plus qu’une préoccupation, ce fut de s’approprier en quelque sorte l’intervention décisive de la France afin de la limiter, de lui ôter sa force, d’amoindrir le service rendu à la Belgique. Il fut convenu que les Français ne passeraient point les anciennes frontières de la Hollande, que nous n’irions ni à Maëstricht ni à Venloo. La Belgique