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de la France à un membre de sa propre famille : il était entré, plus qu’on n’eût pu attendre d’un esprit aussi sagace, dans les projets qui avaient permis à Napoléon de donner une couronne d’impératrice à la princesse Charlotte ; certes le roi Léopold ne pouvait rêver une grandeur nouvelle pour une fille de France alliée à la maison d’Autriche ; il espéra sans doute lier Napoléon III à l’avenir des siens, gagner du temps pour la Belgique. Van de Weyer, qui avait des lumières spéciales sur le Mexique (il les devait à son beau-père, M. Bates), essaya vainement d’écarter de la princesse Charlotte le rêve dont on flattait son imagination romanesque ; il la vit pour la dernière fois à Londres, quand elle vint faire ses adieux à la reine Marie-Amélie, avec Maximilien, déjà tourmenté du pressentiment de sa fin tragique.

Lord Palmerston, que van de Weyer regardait comme le plus ferme ami de son pays, mourut au mois d’octobre 1865. C’était au moment même où M. de Bismarck avait avec Napoléon III, à Biarritz, des entrevues dont le secret cachait l’avenir de l’Europe. Léopold, depuis longtemps martyr d’une cruelle maladie, s’éteignit le 10 décembre 1865. L’un des derniers survivans d’une époque terrible, il avait vu remonter sur le trône de France un descendant de Bonaparte ; il sut pendant trente-cinq ans protéger un royaume nouveau, frêle ouvrage de la diplomatie, contre tous les dangers du dehors et du dedans. Nul n’est grand s’il n’est supérieur à sa fonction, et l’on peut dire de Léopold qu’il fut supérieur même à la fonction royale. Il régna pour ainsi dire du dehors et d’en haut sans se livrer tout entier. Van de Weyer avait entretenu avec lui une correspondance directe et incessante pendant toute la durée du règne : le roi sortait avec lui de la banalité, il devenait parfois presque tendre : « mon bon et fidèle ministre, non, vous n’avez pas votre pareil, » lui accordait sa confiance « affectueuse et illimitée. » Il quittait par instans le ton diplomatique. « Schiller dit, dans la Fiancée de Messine, avec une si terrible vérité : « Avec le destin, il n’y a pas de pacte ! » Cela m’avait souvent frappé… » Van de Weyer alla à Bruxelles pour assister à l’inauguration du roi Léopold II. Sous le nom de duc de Brabant, celui-ci avait fait plus d’un séjour en Angleterre ; van de Weyer avait vu avec bonheur grandir en lui des qualités qui promettaient à la Belgique un digne successeur de Léopold Ier. Il écrivait peu après à M. van Praet : « Vous le savez, j’avais depuis plusieurs années arrêté dans mon esprit que ma vie politique se devait terminer avec la vie du roi. Pendant mon dernier séjour à Bruxelles, je compris que ma retraite ne pouvait avoir lieu le jour de l’avènement de notre second roi, et qu’il me restait encore des devoirs à remplir. Depuis j’ai reçu des