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anciennes traditions, la secte nikonienne a perdu tout droit à la succession apostolique. Le clergé officiel n’est plus une église, c’est la synagogue de Satan. Toute communion avec ces ministres de l’enfer est un péché, la consécration de ces évêques apostats une souillure. En adhérant aux anathèmes des prélats russes contre les vieux rites, les patriarches orientaux ont partagé leur hérésie. Avec la chute de l’épiscopat a péri l’orthodoxie, il n’y a plus de succession apostolique, plus de sacerdoce légitime. »

Dès la première génération, le raskol se trouvait ainsi coupé en deux partis, les popovtsy, qui gardent des prêtres, et les bezpopovtsy, ou sans-prêtres, qui repoussent tout sacerdoce. Pour avoir encore un clergé, les popovtsy étaient obligés de recourir à des transfuges de l’église officielle, et par là restaient dans sa dépendance. Nous verrons comment dans ces derniers temps ils ont réussi à se procurer un épiscopat et toute une hiérarchie ecclésiastique indépendante. En gardant un sacerdoce, quelque peu nombreux et ignorant qu’il fût, les popovtsy conservent les sacremens et toute l’économie du christianisme orthodoxe. En dépit de l’inconséquence d’admettre les prêtres d’une église qu’ils rejettent, ils peuvent en demeurer au point de départ du schisme et se maintenir sur le terrain des premiers vieux-croyans. Pour les bezpopovtsy au contraire, il est presque impossible de trouver un point d’arrêt sur la pente où les entraîne une implacable logique. En renonçant au sacerdoce, ils renoncent à l’orthodoxie ou au moins au culte orthodoxe. Avec le sacrement de l’ordre disparaissent tous les sacremens administrés par des prêtres. Des sept canaux traditionnels de la grâce divine, un seul, le baptême, reste ouvert aux hommes ; les six autres sont clos et taris pour jamais. Ainsi du premier coup les bezpopovtsy en sont arrivés à l’anéantissement du principe du culte chrétien. Les vieux-croyans les plus rigides ont abouti à la plus manifeste des contradictions. Pour sauver tous les rites, il ont sacrifié les plus essentiels ; pour garder le signe de croix à deux doigts et le double alléluia, ils ont rejeté les sacremens sans lesquels il n’y a plus de vie chrétienne, plus de lien visible de l’homme et de Dieu. C’est en abolissant le ministère sacré et le service divin qu’ils protestent contre les légères atteintes portées par l’église à leurs pratiques de dévotion. Faute de sacerdoce, en fermant la porte aux prétendues innovations de Nikone, les bezpopovtsy l’ouvrent toute grande à toutes les fantaisies de l’esprit de secte, et par leur aveugle attachement à l’antiquité s’exposent à toutes les nouveautés.

La triste solution à laquelle aboutissent les sans-prêtres, les bezpopovtsy, ne pouvait satisfaire le goût du cérémonial et l’amour de la tradition qui avaient provoqué le schisme. Comment combler le vide laissé dans le christianisme par la disparition du sacerdoce et