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Bastidas, s’était avancé jusqu’au havre où fut fondé plus tard l’établissement de Nombre-de-Dios. « Tous, jusqu’aux tailleurs, demandaient à aller découvrir de nouvelles terres. » Colomb se sentit piqué au jeu. A l’âge de soixante-six ans, la vue fatiguée par ses longues veilles, le corps déjà rongé par la goutte, il entreprit, le 9 mai 1502, son quatrième et malheureusement son dernier voyage. Il revit les Antilles, Haïti, la côte méridionale de Cuba, et vint atterrir sur le cap Honduras. Là, il lui fallut quarante jours de lutte pour franchir une distance de 70 lieues. Quand il eut doublé le cap Gracias-a-Dios, longé la côte des Mosquitos, Costa-Ricca, Veragua, jeté l’ancre dans le havre spacieux de Porto-Bello, il finit par s’arrêter à la pointe qu’avait déjà reconnue deux ans auparavant Rodrigo de Bastidas. « Ses ancres étaient perdues, ses gens découragés, ses vaisseaux percés par les tarets d’autant de trous qu’un rayon de miel. » Le 7 novembre 1504, l’immortel découvreur rentrait au port de San-Lucar. Il n’avait pas trouvé le chemin des Moluques ; il croyait s’être avancé « jusqu’à dix journées de chemin du Gange. »

Améric Vespuce, Juan de La Cosa, s’y trompèrent comme Christophe Colomb ; pour eux, le Nouveau-Monde resta jusqu’à la découverte de l’Océan-Pacifique « le commencement de l’Asie. » L’assurance imperturbable de Colomb ne fut donc pas un effet « de sa finesse génoise. » Les cosmographes lui avaient inculqué une erreur ; sa foi robuste s’y opiniâtra. Si le Seigneur lui avait départi « de la science des astres ce qui pouvait suffire, » s’il lui avait accordé de surcroît « le talent de dessiner des sphères, d’y placer avec dextérité les villes, les rivières, les montagnes, » il lui avait par bonheur refusé cet esprit supérieur de critique qui eût pu ébranler sa confiance dans les calculs de Toscanelli. Colomb n’était ni un homme de science, ni un homme du monde, — non doto en letras y kombre mundanil ; — il était dans toute la force du terme un marin, — lego marinero. Améric Vespuce, Sébastien, Cabot, étaient des astronomes qui s’éprirent de la navigation à un âge assez avancé. Colomb en 1492 avait déjà passé vingt-trois années sur mer ; il avait vu « le Levant, l’Occident et le Nord, visité l’Angleterre et l’Islande, accompli maint voyage de Lisbonne à la côte de Guinée. » C’est avec ce bagage qu’à l’âge de cinquante-six ans il se lança dans la carrière aventureuse des découvertes. « Vigoureux, de grande taille, dur à la fatigue, » il ne comptait laisser à personne le soin de veiller pour lui. « Il faudra, écrit-il en partant de Palos, que j’oublie pendant ce voyage comment on dort. » Aussi, malgré ses cinquante-six ans, sera-t-il le premier, dans la nuit du 11 au 12 octobre 1492, à discerner la terre. Le 13 septembre, il avait constaté le changement de déclinaison de l’aiguille aimantée.

S’il nous restait encore des voyages de découvertes à faire, ce