Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reste un maître : les Pinzon, les Solis, les Cabot, les Améric Vespuce, ne sont que des disciples. Si nous le comparons aux marins de nos jours, à Cook lui-même, à Vancouver, à Wallis, à La Pérouse, à Bougainville, à d’Entrecasteaux, on dirait un géant de cent coudées. Voilà pourtant l’homme qui à soixante-dix ans s’éteignit dans l’oubli et dans l’indifférence publique. Quand il fallut en 1520, quatorze années seulement après sa mort, désigner par une appellation unique toutes « ces terres cachées » dont il avait le premier enseigné au vieux monde le chemin, ce ne fut pas son nom qui vint naturellement s’offrir à l’esprit des cosmographes ; on lui préféra, sans mauvais dessein et sans qu’aucune brigue paraisse y avoir eu part, le nom plus connu d’un piloto mayor, d’un astronome « expert, au dire de Sébastien Cabot, dans la détermination des latitudes. »


II

Au XVe siècle, la chrétienté ne reconnaissait dans ses différends qu’un arbitre, le chef spirituel qui siégeait à Rome. Une bulle du pape Nicolas V avait en 1454 concédé à l’infant dom Henrique « les mers, terres et mines » qui pourraient être acquises le long des côtes de Guinée. En 1493, Alexandre VI traçait d’un pôle à l’autre une ligne imaginaire qu’il faisait passer à travers les Açores et les îles du Cap-Vert. À l’est de ce méridien était le domaine réservé au Portugal, à l’ouest le chemin ouvert aux entreprises de la Castille. En 1494, on reporta d’un commun accord la ligne de démarcation de 370 lieues vers l’occident. Ce fut ainsi que le Brésil échappa aux mains de l’Espagne. Le Portugal pouvait en effet se mouvoir du 48e degré de longitude ouest au 132e degré de longitude est,[1]. Fernambouc et Rio-Janeiro, les Moluques et les Philippines, la moitié même de la Nouvelle-Guinée, entraient dans la part qui lui était faite, mais on l’ignorait alors ; on ne soupçonnait, même pas l’existence des contrées que la convention de Tordesillas venait tacitement d’adjuger. Le point essentiel était de séparer les dominations, d’indiquer aux deux nations rivales la voie que leurs navigateurs devraient suivre pour arriver, sans se contrarier dans leur route, au rendez-vous commun qui leur était assigné. On réglerait plus tard les questions de détail. Pour le moment, on ne songeait en Espagne, comme en Portugal, qu’à toucher le but le plus tôt possible, et ce but n’était autre que la région lointaine des îles orientales et du Cathay.

Quand la sève est en travail, un rameau arraché ne semble

  1. Ces degrés sont comptés à partir du méridien de Paris.