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donner que plus de force aux autres. Colomb était mort le 20 mai 1506. En 1508, Vicente-Yanez Pinzon et Juan Diaz de Solis avaient déjà reconnu les côtes du Nouveau-Monde de l’équateur au 40e degré de latitude australe. En 1513, Balboa, débarqué dans le golfe du Darien, atteignait le sommet de la cordillère qui sépare les deux mers. Du haut d’un arbre sur le tronc duquel on avait pratiqué des entailles, il aperçut d’un côté l’Océan-Atlantique d’où il venait, de l’autre la Mer du Sud, où quelques jours plus tard il entrait l’épée à la main, de l’eau jusqu’aux genoux. A dater de ce jour, il ne fut plus question d’arriver par la terre de Veragua aux états du grand-khan, « de revenir de Cuba par terre en prenant la route de l’Ethiopie, de Jérusalem et du port de Jafla. » On comprit qu’entre les terres découvertes par Colomb et celles décrites par Marco Polo il devait y avoir toute l’étendue d’un immense océan. Des communications s’étaient établies à travers l’isthme ; un entrepôt avait même été fondé à Panama. On voulait y construire des navires qui de là se rendraient aux îles orientales. Il fallut ajourner l’exécution de ce dessein. Dans l’isthme du Darien, « il y avait plus d’or que de santé et de nourriture ; l’insalubrité de l’air était comme inscrite sur la figure de ceux qui en revenaient. » Le Nouveau-Monde en somme menaçait de dépeupler l’Espagne ; il ne l’enrichissait pas. Une colonie avait été fondée à Haïti ; au bout de sept années, on n’en avait pas encore exporté plus de 2,000 marcs d’or. Qu’elle passât au milieu ou à 21 degrés dans l’ouest des îles du Cap-Vert, la ligne de démarcation tracée par le pape Alexandre VI semblait toujours laisser aux Portugais le meilleur lot. L’Espagne avait la charge ingrate de faire mettre en valeur par une race indolente, pour laquelle tout travail était une nouveauté des plus dures, les vastes territoires qui lui étaient échus ; le Portugal trouvait au contraire un sol en plein rapport. Pour dériver les eaux de ce Pactole vers Lisbonne, un honnête négoce eût à la rigueur pu suffire. La place par malheur était déjà occupée, et la nécessité de chasser les Arabes obligea bientôt les Portugais à subjuguer les Hindous. Contre leur gré peut-être et à coup sûr contre leur intérêt, ils durent accepter dès l’année 1502 tous les embarras de la conquête.

En 1521, au moment où Jean III montait sur le trône, l’Océan indien, du cap de Bonne-Espérance aux rivages de la Chine, ne reconnaissait qu’un maître. Ce que le Portugal n’occupait pas directement par ses troupes était, grâce aux divisions habilement exploitées des princes indigènes, soumis à son influence. Quel chemin prodigieux ont fait ces navigateurs qui, cent ans auparavant, n’osaient pas franchir le cap Noun ! Fernand Perez d’Andrade a laissé derrière lui la Taprobane et la Chersonèse-d’Or, tout ce monde