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espagnols partaient de San-Lucar, sous les ordres du capitaine portugais, qui devait les conduire en effet bien près des Moluques, mais qui n’était pas destiné à les ramener en Europe. Ils allèrent lentement, s’arrêtant des mois entiers pour se ravitailler, pour se radouber, pour se refaire ; ils allèrent jusqu’au 52e degré de latitude, affrontant des climats de jour en jour plus âpres. Là, tout à coup, le 21 octobre 1520, la côte leur manqua brusquement ; ils avaient rencontré la brèche que l’on cherchait en vain depuis le commencement du siècle. Le détroit auquel Magellan a donné son nom s’ouvrait devant eux.

Ce détroit avait 110 lieues de long. Les Espagnols employèrent trente-sept jours à le franchir. Quand l’Océan-Pacifique les reçut enfin, de cinq navires qu’ils avaient au départ, il ne leur en restait plus que trois. L’un s’était perdu, l’autre s’était égaré ou séparé volontairement de la flotte. Magellan put heureusement, à l’issue même du détroit, remonter avec une grande rapidité vers le nord. Bientôt il lui sembla qu’il avait retrouvé un second « golfe des Dames. » C’est ainsi qu’on appelait alors dans l’Atlantique la paisible région des vents alizés. La température était douce, et le vent, qui soufflait d’une haleine égale et légère, ne cessait pas un instant d’être favorable. Remarquée pour la première fois dans le coin du ciel qu’elle occupe sous ces latitudes, la croix du sud remplaçait l’étoile polaire. Que manquait-il donc aux heureux navigateurs ? Il leur manquait de l’eau et des vivres. Pour tromper leur faim, ils étaient obligés de mâcher le cuir qui sert à garantir des effets du frottement les cordages ; pour apaiser leur soif, ils n’avaient de ressource que l’eau salée. Ils étaient cependant bien loin d’être fixés sur la distance qu’il leur faudrait parcourir avant d’atteindre ainsi les îles orientales ou le Cathay. L’incertitude était sans doute moins grande qu’au temps du premier voyage de Christophe Colomb ; elle était plus cruelle peut-être, car elle agissait sur des corps épuisés et sur des esprits affaiblis : 20 hommes moururent avant que trois îles, en apparence fertiles, élevassent leurs sommets boisés à l’horizon. Ces îles étaient habitées ; sous Philippe IV, on les appela, en l’honneur de la mère de Charles II, les Mariannes. De cet archipel à la côte la plus voisine, il y avait encore près de 400 lieues. C’était peu de chose pour des navigateurs qui venaient d’en faire plus de 3,000. Le 7 avril de l’année 1521, l’escadre mouillait dans le port de Zebù ; elle avait reconnu un second archipel, mais cette fois un archipel immense, un archipel dont l’ensemble l’eût à peine cédé en étendue à un continent. L’Espagne le possède encore aujourd’hui. Ce fut longtemps l’archipel de Saint-Lazare ; en 1568, il devint l’archipel des Philippines. Un esclave natif de Sumatra, embarqué sur