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l’escadre, put servir aux Espagnols d’interprète. La chaîne était donc renouée ; par l’est aussi bien que par l’ouest, on était arrivé au pays des Malais.

Mieux encore qu’à son teint et à son langage, les Espagnols auraient pu reconnaître à sa fierté native la race belliqueuse et farouche que les Portugais avaient rencontrée les premiers dans les états du sultan d’Achem. Matan est une île voisine de Zebù. Magellan voulut la plier à ses exigences ; il y perdit la vie. Après un long combat, ses compagnons le virent succomber sous les coups des indigènes : 8 Espagnols avaient eu le sort de leur chef ; 22 étaient blessés. Ils revinrent à Zebù, croyant y trouver des secours ; malheureusement leur prestige était évanoui, ils ne rencontrèrent que la trahison. Fugitive et désorganisée, l’escadre dut aller chercher un refuge à l’île de Bohol. Les équipages étaient tellement réduits qu’il fallut brûler un des vaisseaux[1] pour garder le moyen de manœuvrer les deux autres. On erra ainsi pendant de longs mois de Mindanao à Soulou, de Soulou à Palawan, de Palawan à Bornéo. Enfin le 8 novembre 1521, on finit par aller, jeter l’ancre à Tidore ; 47 Européens survivaient seuls de toute l’expédition.

Tidore est une des Moluques ; Ternate est en face. Ces deux cônes volcaniques forment pour ainsi dire les deux rives d’une même rade. Les autres îles se nomment Motir, Batchian et Makian. Comme Tidore et Ternate, elles sont échelonnées sur la côte occidentale de la grande île de Gilolo. Les Espagnols purent en moins d’un mois se procurer un complet chargement d’épices, mais, au moment du départ, une voie d’eau se déclara à bord de la Trinidad. Il fallut laisser ce bâtiment à Tidore. Sébastien del Cano partit sur la Vittoria et se dirigea vers le cap de Bonne-Espérance ; 21 hommes succombèrent encore dans cette traversée ; 18 seulement rentrèrent à San-Lucar le 6 septembre 1522, après une absence de trois ans et un voyage de 14,000 lieues.

Le tour du monde était pour la première fois accompli ; Sébastien del Cano avait démontré pratiquement la sphéricité de la terre. Dans ce long parcours où les Espagnols, marchant de l’est à l’ouest, ne cessèrent pas un instant de fuir devant le soleil, chaque midi nouveau constaté par eux les mettait en retard de quelques minutes sur l’horloge de leurs compatriotes. Quand ils débarquèrent en Espagne, ils remarquèrent, non sans quelque étonnement, qu’ils n’étaient plus d’accord avec le calendrier national. A force de

  1. « Le vaisseau de ligne » ou plus simplement « le vaisseau, » comme nous l’entendons aujourd’hui, est un navire considérable, à deux ou trois batteries couvertes Dans le sens que le moyen âge attachait à cette expression, le mot de « vaisseau » comprend au contraire des bâtimens de toute sorte et de toutes dimensions. Il comprend jusqu’à des barques.