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Le 25 novembre 1578, après dix mois de lutte, dix mois de tempêtes et de misère, Drake, n’ayant plus de toute son escadre qu’un navire, la Biche d’or, venait jeter l’ancre sur la côte du Chili. Le 4 décembre, il faisait sa première prise. 60,000 piastres d’or, des joyaux précieux, des marchandises de toute sorte, déridèrent le front des corsaires et leur firent dès ce jour oublier leurs peines. Non contens de ce riche butin, ils se jettent sur l’église de Valparaiso, la dépouillent, mettent la ville au pillage et vont jusqu’au 19 janvier 1579 se refaire au port de Coquimbo. Tarapaza, Arica, ont à leur tour la visite inattendue des Anglais. Le 13 février, Drake arrive enfin sur la rade du Callao. Plusieurs navires y étaient mouillés. En un tour de main, la Biche d’or fait rade nette ; le 24 février, elle passe la ligne ; le 1er mars, elle capture le grand, le riche galion de Panama. La cargaison de ce bâtiment valait à elle seule près de 400,000 piastres.

Capturant et pillant toujours sur sa route, Drake n’en songeait pas moins à trouver le détroit qui devait le ramener par le nord en Angleterre. il remonta ainsi jusqu’au 48e degré de latitude. Le mois d’août était venu, le froid se faisait déjà sentir, et les vents se maintenaient presque constamment contraires. Drake prit sans hésiter sa résolution. Du nord, il se tourne brusquement vers l’ouest et lance la Biche d’or à travers l’Océan-Pacifique. Pendant soixante-huit jours, il ne vit que le ciel et l’eau. Le 20 octobre 1579, il mouillait à Mindanao, le 3 novembre à Ternate : le 9, sa cale était bondée jusqu’aux barrots du pont de piastres, de bijoux et de clous de girofle. La Biche d’or ce jour-là quittait les Moluques ; elle calait alors 13 pieds d’eau. Comment eût-elle pu continuer à naviguer ainsi sans danger au milieu des bancs de sable ou de corail qui naguère se tenaient si loin de sa quille ? Elle faillit rester sur un des récifs de la mer de Célèbes. Une saute de vent presque miraculeuse la sauva. Le 15 juin de l’année 1580 vit Drake doubler le Cap de Bonne-Espérance, le doubler sans s’y arrêter, car Drake était trop chargé de butin pour ne pas fuir soigneusement de nouvelles rencontres. Il ne voulut toucher qu’à Sierra-Leone. Le 26 septembre, la Biche d’or arrivait à Plymouth après un voyage qui avait duré deux ans et dix mois. Comme les compagnons de Magellan, Drake avait perdu un jour ; il se croyait encore au dimanche 25, quand les habitans de Plymouth dataient déjà du lundi 26.

Ce retour de Drake produisit en Angleterre un effet prodigieux. La crédulité publique exagérait encore les richesses que la Biche d’or avait rapportées. Voir revenir avec de tels trésors ce corsaire qu’on avait cru tant de fois englouti, il y avait bien là de quoi frapper l’imagination populaire. Le pirate heureux fut appelé à la cour, mais les plaintes de l’Espagne devinrent bientôt si vives qu’il fallut