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réussissent. Il fut un temps où l’on n’admettait pas plus l’anarchie religieuse que nous ne voudrions accepter de nos jours l’anarchie politique. Ce n’est pas uniquement sous le règne du fils de Charles-Quint, c’est aussi sous le règne de Louis XIV qu’on a pu voir les plus grands esprits accueillir avec un déplorable enthousiasme des persécutions qui devaient assurer le triomphe de l’orthodoxie, et qui ne firent qu’enraciner plus profondément le principe de la liberté de conscience. Philippe II était un souverain appliqué, de dévotion austère, pénétré de ses droits tout autant au moins que de ses devoirs. Lorsque commencèrent les troubles des Flandres, il reçut avec indignation les premières représentations qui lui furent faites. En 1567, il envoyait dans les Pays-Bas le duc d’Albe. C’était la plus cruelle réponse qu’il pût faire aux révoltés. Les deux principaux chefs de la ligue des seigneurs, le comte de Horn et le comte d’Egmont, ne tardèrent pas à porter leur tête sur l’échafaud. Ainsi délivré de tout contrôle, le duc usa de ses pouvoirs avec une telle rigueur que beaucoup d’habitans, réduits au désespoir, cherchèrent un asile dans la piraterie.

Un pays conquis sur la mer avait dû s’adonner de bonne heure à toutes les industries maritimes. Dès le XIIIe siècle en effet, on construisait des navires en Zélande. En 1512, lorsque l’empereur Charles-Quint, d’accord avec le pape et la république de Venise, s’apprêtait à faire la guerre aux Turcs, les Hollandais avaient pu armer cent vaisseaux ; ils en firent figurer quarante dans le cortège naval qui accompagna Philippe II en 1559 à son départ de Flessingue. Tous ces navires attendaient les mutins ; la plupart leur appartenaient. L’insurrection s’en fit une sorte de patrie flottante. On crut flétrir les rebelles en les appelant les gueux de mer ; mais sur toutes les côtes des Pays-Bas on trembla bientôt à ce nom. Adrien de Berghes, Ladislas de Brederode, Albert d’Egmont, se mirent à la tête de ces pirates, désavoués par l’Europe, secrètement assistés par tout ce qui s’intéressait à la cause de la réforme. Les gueux de mer se retiraient à La Rochelle devenue la citadelle du calvinisme et en Angleterre, où les ennemis de l’Espagne étaient toujours assurés de rencontrer un appui. C’est là qu’ils allaient se ravitailler et déposer le fruit de leurs brigandages. Les forces du plus grand empire s’usent vite quand elles s’attaquent à une insurrection nationale. En 1569, la rébellion des Flandres semblait abattue sous le bras de fer du duc d’Albe. Dix ans plus tard, après une cruelle alternative de succès et de revers, sept des provinces insurgées se liaient par l’union d’Utrecht, et déclaraient le roi d’Espagne déchu de la souveraineté des Pays-Bas. L’action des flottes, plus encore que celle des armées, décida de ce grand événement. La prise de La Brille par les gueux de mer donna une place forte à la rébellion. Maîtres de cette