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la place au nom du roi Antonio, dont il se proclamait le lieutenant-général. Le marquis de Santa-Cruz amena de nouveau sa flotte dans ces parages ; en quelques jours, il fut maître de la ville et fit chèrement expier à dom Emmanuel de Silva sa fidélité honorable. Le gouverneur de Tercère pour le roi Antonio eut la tête tranchée.

Tout semblait donc sourire à Philippe II. En dépit de quelques brigandages qu’il lui fallait subir, sa suprématie navale demeurait incontestée. Il était impossible cependant qu’il vît sans quelque ombrage et sans quelque inquiétude grandir en face des provinces insurgées une puissance maritime toujours prête à leur tendre la main. La marine anglaise avait pris un rapide développement depuis le jour où les réfugiés flamands étaient venus lui apporter leur concours et les secrets de leur industrie. Jusqu’alors, l’Angleterre avait dû tirer sa poudre à canon des Pays-Bas ; elle apprit à la fabriquer sur ses propres rivages. Non contente de soutenir les prétentions de dom Antonio au trône de Portugal, celles du duc d’Alençon à la couronne de Brabant, la reine Elisabeth venait de décerner les honneurs de la chevalerie au pirate qui avait si audacieusement porté le pillage et la dévastation dans les colonies espagnoles. Quel défi plus sanglant pouvait-elle jeter à ce puissant monarque dont elle avait refusé la main, et qui se vantait encore à la face de l’Europe de lui avoir sauvé la vie au temps eu sa propre sœur la reine Marie Tudor et Gardiner complotaient en secret sa perte ? Philippe II, calme et froid, ruminait sa vengeance. Le duc de Parme reçut l’ordre de se procurer une description exacte « des ports, châteaux, rivières et routes de l’Angleterre. » C’était dans leur île que le roi d’Espagne voulait aller attaquer les Anglais. Il se flattait d’y trouver de nombreux partisans et d’y rallumer aisément le flambeau mal éteint de la guerre civile. De pareils desseins ne peuvent être longtemps tenus secrets ; ils exigent trop de préparatifs. La reine Elisabeth, informée de ce qui se tramait contre elle, n’hésita pas à prendre les devans. Il lui était facile de frapper sans se découvrir. Sir Francis Drake était là, enrichi, anobli, mais toujours aussi entreprenant. Pour le lancer sur les Espagnols, la reine n’eut à lui fournir ni vaisseaux, ni soldats, elle n’eut qu’à fermer les yeux. Drake sortit des ports d’Angleterre avec vingt-cinq voiles ; le 17 novembre 1585, anniversaire du jour où Elisabeth était montée sur le trône, il jeta pendant la nuit un millier d’hommes sur la principale des îles du Cap-Vert et s’empara de la ville de Santiago. Sans s’arrêter, il traverse l’Atlantique, pille Saint-Christophe et La Dominique, occupe pendant plus d’un mois Santo-Domingo, va rançonner la ville de Carthagène, ravager la côte de Floride, et finit par ramener en Angleterre les débris de la malheureuse colonie de