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Les divisions espagnoles, dès qu’elles eurent dépassé le rocher d’Eddystone, se groupèrent autour du généralissime, et cette flotte immense continua sa marche formée en croissant ; son front seul occupait un espace de près de 7 milles. Les Anglais ne pouvaient songer à lui disputer le passage ; ils voulaient conserver l’avantage du vent, suivre l’ennemi de près, et, quand l’occasion s’en présenterait, l’inquiéter sur ses derrières.

On n’avait pas encore oublié les traditions de l’antique chevalerie. En guise de héraut d’armes, lord Howard envoya le 21 juillet, vers neuf heures du matin, sa pinasse[1] faire sur les Espagnols une décharge de tous ses canons. C’était la réponse au manifeste de Philippe II, la déclaration de guerre à l’étranger qui osait, sans saluer de son pavillon, pénétrer « dans les mers étroites. » Immédiatement après, le grand-amiral ouvrit lui-même le feu sur le galion d’Alfonso de Leva. Recalde avec sa division se porta au secours de ce bâtiment. Sir Francis Drake, John Hawkins, Martin Forbisher, accoururent à leur tour. Recalde se replia en bon ordre vers le gros de la flotte. Il avait perdu 15 hommes dans cet engagement. La nuit vint, nuit noire et tempétueuse ; la mer grossit beaucoup. Le galion que montait don Pedro de Valdez aborda un autre vaisseau espagnol ; dans cet abordage, le vaisseau de Valdez craqua son mât de misaine et son beaupré ; le lendemain 22 juillet, il tombait entre les mains de sir Francis Drake. L’escadre espagnole continuait toujours sa route. C’était la seconde nuit qu’elle passait dans la Manche. Le jour la trouva au-delà du cap Start. Drake avait reçu l’ordre de conduire l’armée anglaise. Lancé à la poursuite de quelques hourques allemandes, il se trouva bientôt hors de vue. La majeure partie de la flotte anglaise restait en panne, ne sachant plus qui suivre. Howard, lui, suivait le feu de l’amiral espagnol, se figurant marcher dans les eaux de Drake. Au jour, il n’apercevait plus que le haut des mâtures de sa flotte ; il était « au milieu de la flotte ennemie. Deux navires seulement, l’Ours blanc et le Mary-Rose, avaient partagé sa fortune. La situation pouvait être critique, mais l’armada tendait avec trop d’énergie à son but pour vouloir s’en laisser détourner. Elle préférait faire encore une fois la part du feu. Medina-Sidonia avait perdu un galion, il en sacrifia un autre,

  1. Pinnace, pinace, pinasse, « petit bâtiment à poupe carrée qui va à voiles et à rames et qui porte trois mâts. » La pinasse devait être une espèce de lougre ou de chasse-marée. Les navires côtiers ont peu changé de forme ou de voilure depuis cinq cents ans.